mercredi 12 mai 2010

FANETTE

Une histoire qui doit tout à Jacques Brel et un peu à Bernie, mais ce n'est pas la première fois qu'il se sert du talent des autres pour essayer de faire émerger un soupçon de créativité. Il s'en est même fait une spécialité. Peut-on exprimer un talent de cette façon ? A vous de juger. Moi, ce que j'en dis....Comme toujours. Je suis son ami, après tout.

Nous étions deux amis, monsieur le commissaire.


- Quel était donc cet ami ?

- Jeff, le Jeff,mon ami de toujours, celui à qui j'ai aidé à remonter la pente, poivrot qu'il était. Combien de fois l'ai-je ramassé sur le trottoir, imbibé au delà du coeur et de la raison. Si j'avais su...

- Justement, racontez-moi ce qui s'est passé.

- Nous étions deux amis et Fanette m'aimait. Du moins je le croyais.

- Vous n'en êtes plus très sûr ?

- Comment pourrais-je l'être après ce qui s'est passé. Pourtant, elle me disait qu'elle m'aimait.

- Que s'est-il passé ?

- La plage était déserte. Il était encore tôt. Le sable brillait sous le soleil. La chaleur faisait comme des vibrations. La plage tremblait sous juillet.

-Vous n'étiez vraiment que vous trois sur cette plage ? Vous n'avez aperçu personne d'autre ?

- Personne, monsieur le commissaire. Les vagues seules, pourraient témoigner.

- Difficile de les interroger.

- Elles savent bien pourtant combien de chansons j'ai chanté pour la Fanette, si elles s'en souviennent. Les vagues ont-elles une mémoire ?

- Vous veniez souvent sur cette plage ?

- Souvent. C'était sa préférée.

- Pourquoi celle-ci ?

- Parce qu'elle était isolée, disait-elle. Protégée par les rochers, elle n'était pas facile d'accès. Elle était comme un écrin où y blottir notre amour.

- Fanette était belle.

- Je vous vois venir monsieur le commissaire. Oui,il faut le dire, Fanette était belle comme une perle d'eau. Elle si brune et la dune si blonde. Fanette était belle et je ne suis pas beau.

- Vous avez-cru à cet amour ?

- Etais-je fou de croire à cela? Auprès d'elle, je tenais le monde. Je la croyais à nous. Je la croyais à moi. Faut dire ou croire que je suis naïf. On ne m'a pas appris à me méfier de tout.

- Comme quoi ?

- D'une plage déserte qui mentait sous juillet. Et de l'amitié qui n'en avait que l'habit. Je n'avais plus envie de chanter de chansons. Les vagues vous le diront, la chanson s'arrêta pour Fanette.

- Vous étiez en colère ?

- J'étais triste, monsieur le commissaire. Mon amour et mon ami s'en allaient comme amant et amante, laissant une vague mourir à leurs pieds.

- Qu'avez-vous fait, à ce moment-là ?

- J'ai pleuré, monsieur le commissaire. J'ai pleuré.

- Vous étiez si désemparé que vous vous êtes précipité sur eux.

- Je les ai maudit. Faut dire qu'ils riaient de me voir pleurer. Vous pouvez imaginer çà ? Je les ai maudit et ils se sont mis à chanter je ne sais quelle ritournelle enfantine.

- Ils vous ont humilié, vous ne l'avez pas supporté.

- Ils étaient déjà loin, mon humiliation ne les intéressait même pas.

- Qu'ont-ils faits ?

- Ils ont nagé loin, si loin et si bien. Moi qui ne sait pas nager, je ne pouvais pas les suivre.

- Vous les avez attendus .

- Longtemps, très longtemps. Ils n'ont jamais réapparus.

- Que croyez-vous qui leur soit arrivé ?

- Ils se sont noyés.

- Qu'est ce qui peut vous rendre si sûr ? Après tout, cela fait huit jours, maintenant et aucun corps n'est venu s'échouer ?

- Jeff était mon ami et Fanette l'aimait. La plage est déserte, à jamais. Elle pleure sous juillet. Et le soir, quand les vagues s'arrêtent, j'entends une voix, c'est la Fanette. Voilà pourquoi, monsieur le commissaire, je crois qu'ils se sont noyés.

- Vous pourriez me parler de Jeff ?

- Jeff, c'était mon ami. On se connaissait depuis l'enfance depuis toujours. On ne s'est jamais quitté. Il était mon double. On ne faisait jamais rien l'un sans l'autre.

- Vous disiez qu'il buvait, que vous l'aviez aidé.

- C'est vrai. C'était toujours la même chose. Une fille le quittait, il noyait son désespoir au fond d'un café ou carrément sur le trottoir. C'est-là que je le ramassais. Il disait toujours les mêmes litanies. Qu'il voulait mourir, qu'il était seul.

- Que faisiez-vous ?

- Je le réconfortais. Je lui disais que c'était faux, qu'il n'était pas seul. Il pleurait, les pieds dans le caniveau. Je lui disais d'arrêter. Que çà ne servait à rien de s'épandre devant tout le monde. La semaine dernière, encore.

- Que s'est-il passé la semaine dernière ?

- Il s'est saoulé, une fois encore. A cause d'une demi-vieille. D'une fausse blonde qui venait de le laisser tomber. Il était là, à moitié écroulé sur le trottoir à gueuler qu'il voulait en finir entre deux lampés d'un mauvais vin, entre deux sanglots.

- Cela vous faisait quoi de le voir ainsi ?

- Il me faisait honte. Je lui ai dit: «  Jeff, tu me fais honte! ». Mais, il sanglotait, buvait, resanglotait. Bêtement, devant tout le monde. Pour une trois quart putain qui lui avait claqué entre les mains.

- Comment çà, claquait entre les mains ?

- Ben, elle était partie.

- Où était-elle partie ?

- Est-ce que je sais, moi ? Mettre son cul dans un autre lit, certainement.

- Vous la connaissiez ?

- Un peu, je l'avais vue quelques fois. Elle ne me plaisait pas. Elle avait un air hautain. Elle se donnait un genre, alors que franchement, il n'y avait pas de quoi.

- Si vous la détestiez à ce point, vous auriez pu en débarrasser Jeff pour son bien.

- Vous avez de drôles d'idées, commissaire. Si Jeff croit que son bonheur se trouve dans ses malheurs, c'est son problème, pas le mien.

- Continuez. Vous disiez qu'il vous faisait honte.

- C'est vrai, il se croyait seul, mais il ne l'était pas. Les gens se payaient notre tête en passant près de nous ou nous regardaient avec cette expression de mépris qui fait mal.

- Vous êtes restés là longtemps ?

- Je lui disais de venir, qu'on allait ailleurs, plus loin. Je lui ai proposé d'aller chez la mère François ?

- Qui est la mère François ?

- C'est le troquet du coin. J'avais quelques sous. Je lui proposais d'aller boire ensemble.

- Vous lui avait proposer d'aller boire ? Dans son état ?

- Comprenez bien, commissaire. Je voulais surtout que nous quittions ce bout de trottoir. Et chez la mère François, on nous connait. Je l'aurais installé sur une banquette au fond. Je lui aurais servi du vin de Moselle, j'ai l'habitude. Et puis, on aurait pu manger. Des moules et des frites. Cela l'aurait aidé à éponger son vin et ses larmes. Même, si mes sous n'auraient pas suffit, la mère aurait accepté que je la paie plus tard. J'ai régulièrement une ardoise chez elle, mais je l'honore toujours.

- Comment auriez-vous fait ?

- Je travaille, monsieur le commissaire, je travaille. Pas régulièrement, mais je travaille. Je paie mes dettes, dès que je le peux. Je connais le prix de l'argent. J'en ai eu, beaucoup et je compte bien m'en sortir.

- Et vous vouliez que Jeff ait la même ambition ?

- C'est un peu çà.

- Et après la mère François, qu'auriez vous fait ?

- Je l'aurai entrainé chez madame Andrée.

- Un autre troquet ?

- Pas tout à fait.

- Expliquez-vous.

- C'est délicat.

- Je vous en prie. Je suis commissaire. Je connais les clandés de la ville.

- Il paraît qu'il y a des nouvelles filles, je l'aurais entrainé là-bas.

- Vous y allez souvent ?

- Non, seulement quand le corps n'en peut plus de supporter les états misérables du coeur. Je voulais qu'il se remue. Qu'il retrouve sa joie de vivre comme quand on était jeune, qu'on chantait à tue-tête. Comme quand c'était le temps d'avant, quand on avait de l'argent.

- Est-ce qu'il vous a suivi ?

- Il était lourd ce soir-là. Et pas seulement à cause de ses cent kilos. Il ne pouvait pas bouger sa carcasse. Il faisait des grimaces ridicules. J'essayais de le soulever, mais il n'y avait rien à faire. Le coeur gros, il ne m'aidait pas. Il se répandait, il répétait qu'il était bon à se foutre à l'eau, à se pendre. Il faisait des gestes, criait sa colère, sa tristesse. Le trottoir était devenu une salle de spectacle. Un vrai cinéma. Les gens s'arrêtaient pour regarder comme s'ils assistaient à un spectacle de rue. C'est tout juste, s'il ne nous lançaient pas la pièce.

J'ai encore essayé de le tirer, de le hisser sur des grandes jambes et l'entrainer loin des badauds. Je lui disais qu'il me restait ma guitare, qu'il aimait quand je jouais de la guitare surtout le flamenco. Il dansait quand je jouais, nous étions espagnols; lui le breton et moi le gars du nord. Des conneries, mais çà faisait du bien. Entre deux lampées, on passait de grands moments à se croire ce qu'on n'était pas. Çà ne datait pas d'hier ces délires hispanisants, déjà quand nous étions mômes, on s'y amusait. Il faisait le rossignol et moi j'avais horreur de çà. Mais, ce soir-là, je lui ai promis que je le laisserais le faire, encore une fois. Une dernière fois peut-être. Après, on serait aller s'asseoir sur un banc, face à la mer. Et regarder droit devant face à nous. Deviner là-bas au delà de l'horizon; l'Amérique et en parler. Se promettre d'y aller quand on aurait le fric. Se voir comme deux immigrants arrivant dans le port de New York, avec une valise comme seul vestiaire. Et même s'il était encore triste ou s'il en avait l'air, je lui raconterais comment il deviendrait Rockfeller. Comment on sera bien comme quand c'était le temps d'avant, d'avant de devenir poivrots.