vendredi 4 février 2011

Mardi , à 15h00

Février 1993

                                                                     


 Mardi dernier, à 15h00, nous nous sommes retrouvés devant cette église dans le froid de ce premier jour de février. Le vent nous glaçait la peau et nous t'attendions. Trois ans ont suffi pour venir à bout de tes forces, de ton courage. Trois ans ont suffi pour que cette tumeur t'emporte vers un ailleurs que nous ignorons.


Le vent nous glaçait et nous t'attendions. Nous étions nombreux, tu sais, à battre le pavé de ce parvis. Nous étions nombreux parce qu'il ne pouvait pas en être autrement. De Montauban, bien sûr, mais aussi de Genève, de Paris, de Montpellier, des Landes, d'autres coins encore et, beaucoup de Saint-Gaudens, de Valentine, ta terre d'adoption depuis plusieurs années.
Le vent nous glaçait et nous t'attendions. Nous nous retrouvions les uns les autres, nous souvenant des moments partagés avec celui-ci ou celle-là en ta compagnie. Beaucoup ne s'étaient pas revus depuis des années, d'autres firent connaissance, chacun avait sa petite histoire, son anecdote qui faisait naitre un sourire sur nos visages frigorifiés.
Le vent nous glaçait et nous t'attendions. Les souvenirs se succédaient les uns aux autres. Tu savais tellement embellir chaque instant que nous passions avec toi. Même tes mésaventures, racontées par ta bouche, devenaient un sketch irrésistible.Comme cette fois, où pour aider un ami de tes parents à casser une pierre, d'un geste inconsidéré, tu lui donnas un coup de masse qui, après l'avoir assommé, le fit partir aux toilettes en urgence. Ou encore, quand invité chez les parents d'une amie, très « bien comme il faut », tu redécoras les toilettes au cirage noir, croyant avoir attrapé une bombe de désodorisant. Ainsi, tu étais et ainsi nous t'aimions.
Le vent nous glaçait et nous t'attendions. Si la tristesse était là, ces souvenirs, malgré tout, allégeaient notre peine. Et puis, tu es arrivé et ce qui suivit fut évident. L'émotion s'empara de la nef quand tes collègues et tes amis vinrent parler de toi. De ta souffrance, de la joie qui ne te quittait jamais, au travail ou entre amis et aussi, malgré ton athéisme, de la certitude de te savoir ailleurs aussi heureux que tu l'étais ici.
Le vent glaçait la rue et nous écoutions «  Se canto ». La cornemuse et l'accordéon qui accompagnaient les chanteurs nous ramenaient forcément à toi. Toi, qui en jouais avec modestie, t'excusant à chaque fois pour la note qui surgissait, fragile et quelque peu dissonante. On écouta, par la suite, une chanson appelée : « Le refuge », une chanson de montagne que tu aimais particulièrement.
Le vent glaçait la rue et nous attendions, de nouveau réunis devant l'entrée et chargés de toute l'émotion ressentie, nous tombâmes dans les bras des uns et des autres et nous pleurâmes comme des cons de l'évidence que nous pourrons plus rien partager avec toi, à présent.
Le vent nous glaçait et nous marchions en procession dans les allées du cimetière pour te laisser à l'éternité. Alors, se regroupant en cercle, tes amis du Comminges, chantèrent un chant pyrénéen pour un dernier au revoir avant de s'éclipser discrètement et rejoindre ces montagnes que tu aimais tellement.
Le vent nous glaçait et nous t'avons accompagné avant de reprendre nos vies qui seront maintenant, marquées par ton absence, mais aussi illuminées par tout l'amour que tu distribuas sans compter.
Le vent est tombé et le froid avec lui. Au revoir Alain, on se retrouvera toujours.