jeudi 10 décembre 2009

Naissance

Je suis arrivé sur la pointe des pieds. Enfin quand je dis sur la pointe des pieds, je veux dire en silence. Sans cris, ni hurlements. Je suis né le plus discrètement possible. Sans déranger. Je faisais irruption dans la vie en faisant en sorte que cela se remarque le moins possible. J'arrivais sur la terre et je ne voulais pas que çà se sache. J'avais l'intention de me mettre dans un coin et de ne plus bouger. Je pensais pouvoir observer sans être impliqué. Malheureusement, ils se sont emparés de moi et on fait en sorte que je pousse un cri, ce qui sembla les rassurer.
Je compris très vite que je n’avais aucune chance de m'en tirer et ce qui devait être pour moi une simple visite allait se prolonger bien plus longtemps que je l'imaginais.
Je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait. Tout le monde autour de moi semblait heureux de me voir, mais je savais que çà ne durerait pas. Ici, les bons sentiments s'étiolent au fil des jours et des expériences. Je ne veux pas paraitre défaitiste, mais cette intuition (certitude ?) s'avéra, hélas, d'une réalité consternante.
Alors, bien sûr, à quoi bon se plaindre ? Il ne sert à rien de maugréer contre ses peurs, mais un enfant, lui que sait-il de tout çà ? Comment peut-il appréhender les souffrances sans en comprendre le sens ? C'est bien là le problème, on oublie trop souvent ce que fut l'enfance et les troubles qui la composèrent, et pourtant, ce sont eux qui forment, qui apportent par touches successives, une personnalité aussi complexe. Alors, une fois adulte, on peste, on râle, on s'enthousiasme et on rend à nos enfants ce que nos propres parents nous ont transmis avec tous les insuffisances que cela comporte, inévitablement.
J'étais embarqué dans une drôle aventure que je n'avais pas souhaitée et je ne savais vraiment pas comment m'en dépêtrer. En fait, ce passage à la vie me faisait peur et j'espérais encore pouvoir me retirer aussi discrètement que j'étais arrivé. Peine perdue, quand on te tenait, ici, on ne te lâchait plus.

Très vite, il y a l'apprentissage. On ne te fiche pas la paix très longtemps. Passés, les premiers cris, les premiers sourires et les premières larmes, il faut s'y mettre. Moi qui ne rêvais que d'une chose; qu'on m'oublie, j'ai dû m'y conforter comme tout à chacun. Je n'avais à cette époque-là que de vagues babillages et quelques regards implorants pour me faire comprendre. C'était aussi facile que pour un aborigène venant du centre de sa forêt équatoriale et cherchant sa route dans les rues de New York.

En fait, je voulais leur dire (leur supplier ? ) de m'oublier. Que tout allait bien comme çà et qu'ils n'avaient pas besoin de se donner autant de mal pour moi. Les efforts qu'ils faisaient pour m'apprendre le « B.A.BA de la vie » (comme ils disaient) étaient très louables, mais s'ils avaient pu apporter toute l'attention qu'ils me consacraient vers un autre....

Consacrer était vraiment le mot, il y avait du rituel dans leur démarche. Une sorte d'espérance quasi mystique devant chaque progrès que je pouvais faire. Réussir était gratifié d'une acclamation qui tenait plus de l'état d'extase que de l'expression d'une simple joie. Après cela, il m'était difficile de vouloir retourner dans un coin et me faire oublier. Ils n'en avaient pas l'intention. Si tôt, une chose acquise, il fallait passer à la suivante. Pas de temps de répit, pas de repos. Je me demandais, encore naïf à cet âge, si cela cesserait un jour. Je ne savais pas encore que je n'étais qu'à la genèse d'une longue série...qui ne cessait jamais.

samedi 3 octobre 2009

Un sacré coeur !


Vous vous souvenez de moi ? (Sait-on jamais après une si longue absence). Je suis le grand ami, celui sans lequel ce blog n'existerait pas. Comme Bernie, en mal d'inspiration, oublie de s'y intéresser, je prends le relais et vous offre une image que j'ai récupéré dans le bazar qui lui sert de cerveau et, éventuellement, d'atelier créatif. ¨Peut-on parler d'attentat ? En tous les cas, le Sacré Coeur a du mou dans les fondations.( Je ne l'ai pas déjà dit çà ?)

mercredi 29 juillet 2009

Voila que Bernie se met à chanter maintenant, manquait plus que çà !

dimanche 12 juillet 2009

Récit d'un hussard (16)

LA VIE DE FAMILLE



Il était dit que le bonheur prendrait son temps pour s'installer durablement. À la naissance de notre fils, mon beau-père; le général Brice de Montigny se trouva d'un coup très fatigué. Il dut garder le lit plusieurs jours durant et nous eûmes peur pour sa vie. Mais la nouvelle année sembla lui redonner force et envie, et on le vit reprendre ses promenades dans le parc de Château-Thierry qu'il chérissait tant. Mais fin avril 1811, il ressentit une vive douleur dans la poitrine lors d'une de ses promenades. Nous dûmes l'aliter à nouveau, son état empirant chaque jour un peu plus. Il mourut le 6 mai 1811 à l'âge de 80 ans après une vie tout entière au service de la Nation. Un grand homme nous quittait et la douleur fut à la hauteur de sa personnalité.

C'est au moment où nous avions décidé de partager notre temps entre Paris et Château-Thierry que les événements internationaux se précipitèrent. Napoléon, notre empereur, décida de porter la guerre sur les terres de l'empereur de Russie.

La fierté, voire l'orgueil des deux souverains va entraîner les deux nations dans un désastre absolu. Des milliers de morts, un pays, la Russie, ravagé et un empire, le nôtre en déclin.

Durant les premiers mois, nos soldats progressèrent à l'intérieur du pays ne trouvant devant eux que terres abandonnées et villages fantômes. L'armée ennemie s'enfuyait au devant eux, du moins le croyait-il.

Une seule bataille, le 7 septembre au bord de la Moskova, vit notre armée s'en sortir grâce aux renforts bavarois et saxons qui arrivant en fin de journée retournèrent une situation mal engagée.

L'armée française entra dans Moscou totalement vidée de ses habitants.

À peine prenant possession de la ville que nos troupes durent faire face à une multitude d'incendies allumés par les rares habitants qui étaient restés, en fait des criminels et des repris de justice qui obéissaient aux ordres du comte Rostopchine.

Notre empereur qui espérait recevoir des demandes de négociations de la part du tsar de Russie dut, ne voyant rien venir, faire demi-tour, alors que l'hiver commençait.

Alors que les troupes fatiguées rebroussaient chemin à travers ces mêmes villages dévastés où il n'y avait rien à prendre, à Paris, une conspiration faillit réussir. Les intrigants avaient réussi à faire croire à la mort de notre empereur et à faire prisonnier le préfet de Paris et le ministre de la guerre; Savary.

Heureusement, le coup d'État échoua et les conspirateurs furent fusillés, mais le régime parut bien faible.

En novembre, l'armée de Napoléon se présenta devant la Bérézina à demi gelée. Elle dut construire des ponts pour atteindre l'autre rive. Trois jours seront nécessaires pour réussir l'opération. De nombreux soldats périront dans cette traversée et l'empereur se retrouva entouré que de 25 000 soldats.

Poursuivis par l'armée russe à deux jours de marche, les soldats de la nation espéraient revenir vers l'ouest et sortir de ce maudit pays où ils vécurent leur pire campagne militaire.

Ce sera chose faite début décembre par un froid terrible qui tuera encore de milliers grognards trop faibles pour progresser. Le tsar de Russie avait réussi son entreprise; affaiblir son rival et ennemi.

Celui-ci avait confié son armée au prince Murat et était reparti vers Paris où il avait appris la conspiration du général Mallet.

Les deux années qui suivirent virent les possessions territoriales que nous avions conquises durant nos diverses campagnes se perdre. La coalition ennemie devenait de plus en plus forte et notre empereur voyait son empire se réduire mois après mois.

1815, la France est envahie et malgré le courage de nos troupes et le génie de nos maréchaux qui obtinrent de nombreuses victoires, l'issue fut inéluctable. Les prises de Bordeaux et de Lyon amenèrent Paris à capituler.

La nation ne croyait plus en son empereur et préférait négocier avec l'ennemi qui avait annoncé qu'il se battait, non pas contre la France, mais contre son maître.

Talleyrand devint chef d'un gouvernement provisoire. Les royalistes reprirent les rênes de la nation. Le sénat, le 3 avril, déchut Napoléon de ses fonctions. Celui-ci sera obligé de capituler sans condition et se verra exilé sur l'île d'Elbe. Son épouse l'impératrice Marie-Louise et son fils, le roi de Rome seront confiés à l'empereur d'Autriche.

Une page de notre histoire venait de se tourner. Nous ignorions encore que l'empereur n'était pas encore politiquement mort.

Le frère de Louis XVI en exil depuis la révolution, rentra en France et monta sur le trône restauré, sous le titre de Louis XVIII.

Il voulut récompenser tous ceux qui se battirent pour l'honneur de la Nation durant toutes ces années.

Ainsi, je fus fait maréchal de camp honoraire et je reçus la distinction de chevalier de l'ordre de Saint-Louis.

En février 1815, Napoléon quitta l'île d'Elbe et voulut reconquérir le pays. Il trouva l'appui de divers régiments, échaudés par les décisions du roi Louis XVIII qui avait redistribué les hauts grades de l'armée aux nobles de l'ancien régime.

En un mois, l'empereur arriva aux Tuileries, fit établir une nouvelle constitution et s'engagea à reconquérir le pays.

Pour ma part, croyant vivre ma retraite loin de tous ces agissements politico-militaires, je dus déchanter. On me remit en activité en qualité de colonel de l'état-major du premier inspecteur général de la gendarmerie. Nous devions faire respecter l'ordre sur le territoire, mais nous ne savions pas d'un jour sur l'autre d'où venaient les ordres légitimes.

Au mois de mai, je fus nommé colonel de la 21 éme région de gendarmerie à Metz. Le temps à l'empereur de subir la défaite de Waterloo et d'être fait prisonnier par les Anglais. Suivra son exil à Sainte-Héléne, alors qu'il croyait qu'il serait exilé en Amérique.

Je retrouvai donc ma condition de retraité au moment où des bandes ultra-royalistes firent la chasse aux bonapartistes et aux fonctionnaires de l'empire. Il y eut trop de morts et trop de haine. De plus, la nation dut payer une indemnité de guerre équivalente au budget annuel de l'état. La pauvreté n'était pas prête à disparaître. Le roi Louis XVIII retrouva son trône et j'installai ma petite famille à Versailles, au 107 boulevard de la reine, bien décidé à profiter de chacun de mes enfants autant que possible.


                                         FIN

Récit d'un hussard (14 - 15)

LA PRISE DE CONSCIENCE


Que dire? Comment pourrais-je décrire la joie qui fut la mienne lorsque je retrouvais Angélique et faisais la connaissance de notre fille Louise. Je tenais dans mes bras cette petite fille qui était mienne et qui tremblait un peu devant cet homme qu'elle ne connaissait pas et qu'elle n'arrivait pas à appeler papa.

Ces derniers mois de l'année 1807 ne furent que félicités. Un repos heureux, loin des combats et des souffrances que j'avais côtoyées pendant plus d'un an.

Je me sentais si bien auprès de ma famille. Je me rendais compte aussi que mes blessures parfois se réveillaient, me faisant souffrir. J'avançais en âge et j'étais conscient que la vie de soldat aussi excitante qu'elle fut demandait un état physique irréprochable. Était-ce encore mon cas ? J'allais sur mes 45 ans et je ne me voyais pas guerroyer encore pendant dix ans. Je me confiais à Honoré Greff, venu en voisin nous rendre visite. Il s'amusa de mes réflexions et me demanda si ce n'était pas plutôt ma vie de famille heureuse qui me poussait à de telles pensées. Il avait peut-être raison, mais mes douleurs étaient bien réelles et avec l'âge, elles ne s'estomperaient pas.

L'année 1807 se passa ainsi entre joie et souffrances. Nous savions, Honoré et moi, que les routes de la conquête allaient de nouveau s'ouvrir à nous. L'empereur avait quelques difficultés avec le peuple espagnol qui n'avait pas admis l'abdication de leur roi Charles IV puis de l'infant Ferdinand au profit de Joseph, frère de notre empereur. Il allait falloir, certainement, porter aide aux troupes déjà en place en Espagne et qui subissaient un début d'insurrection.

Mais, avant cela, une loi impériale allait transformer la vie de mon beau-père et la mienne.

Le 1er mars 1808 fut promulguée la loi qui instituait la création de titres impériaux ainsi que l'application des majorats. Et, dans le cadre de cette loi, mon beau-père; le général Brice de Montigny et moi-même fûmes honorés du titre de baron. Venait donc s'accrocher à mon nom, celui d'une de nos terres; Jinac. Je devenais "Monsieur le baron Jacques Bégougne de Juniac, colonel du 1er hussard ". Je n'en revenais pas. Même si ce titre était honorifique et ne me conférait aucun privilège, j'en étais très fier. Confirmé par lettres patentes le 19 mars de cette même année, il serait transmis à mes descendants mâles, seulement par l'aînesse.

Moi, le fils de bourgeois du Limousin, je devenais membre de cette nouvelle aristocratie sans revenus ni terres, mais fier de cet honneur obtenu pour service rendu à la Nation. Pourtant, il me fut attribué une dotation de 10 000 francs sur des biens réservés en Westphalie. Ces revenus me permettant de transmettre mon titre à l'éventuel descendant mâle que j'aurais. Angélique m'assura tendrement que ce serait son plus grand bonheur que de m'offrir cet héritier.


MES DERNIERS COMBATS

La campagne espagnole démarra début mai,et, de suite, nous dûmes réprimander sous les ordres du prince Murat, la rébellion madrilène. Nous le fîmes, ce qui permit au prince Joseph Bonaparte de ceindre la couronne espagnole.

Cette campagne, malgré tout, s'annonçait difficile, car, nous n'étions pas reçus comme des libérateurs comme cela avait pu l'être lors de nos campagnes italiennes ou polonaises, mais comme des envahisseurs ce qui dressa la population du pays contre nous.

Dès le début, nous avions compris que nous avions plus à perdre qu'à gagner dans cette guerre. Pourtant, notre empereur l'avait voulu ainsi, d'une part pour installer un membre de sa famille sur un trône européen de plus, après la Hollande et la Westphalie, d'autre part pour conquérir le Portugal qui restait fidèle à l'Angleterre et qui empêchait la mise en place du blocus continental voulu par Napoléon.

La suite des événements nous apporta beaucoup de désillusions. Les villes espagnoles s'insurgèrent les unes après les autres. Nous dûmes combattre à Logrono, Alcaléa, Tuleda, Cordoue, Torquemada, Valence, Cadix et tout cela en un mois. Nous parcourions la péninsule sans vraiment obtenir de victoires retentissantes. Car se battre contre une armée régulière sur un champ de bataille bien déterminé n'avait rien avoir avec une guérilla dont l'adversaire n'était pas reconnaissable. Nous laissions beaucoup d'hommes et de certitudes dans ces combats où notre honneur de soldat se sentait souvent bafoué.

Mes blessures ne me laissaient pas une journée sans souffrances et j'étais las d'affronter de pauvres hères qui ne cherchaient qu'à défendre leur liberté.

Dans l'été andalou torride, ce qui devait arriver arriva. Notre armée subit sa première défaite face à une armée régulière à Baylen. La capitulation du général Dupont eut un retentissement sur le moral des troupes et, Joseph, à peine installé à Madrid dût en repartir aussitôt.

De Bayonne, notre empereur n'appréciait pas la tournure des événements. Il décida de prendre les choses en main quand il apprit que le général Junot dut quitter le Portugal.

Il engagea la grande armée sur les routes d'Espagne après s'être assuré du soutien de son nouvel allié; l'empereur de Russie. Une rencontre eut lieu à Erfurt et je fus chargé avec une partie de mes hommes d'accompagner notre empereur.

Il obtînt du tsar Alexandre son aide contre l'Autriche si, celle-ci venait à bouger.

Le soir de la signature du traité, l'empereur me fit appeler auprès de lui et me dit:" Colonel, je viens d'obtenir ce que je voulais. Je vais pouvoir engager mon armée en Espagne où, je n'en doute pas, elle fera encore des prouesses. Mais, je vous ai fait venir, car le tsar Alexandre se souvient très bien de vous et de votre bravoure en particulier à Golymin. Aussi, il se proposa de vous faire Feld-maréchal de l'armée russe. Qu'en pensez-vous?"

Je restai sans voix. Devenir officier supérieur dans une armée que j'avais combattue et qui me prit tant de mes hommes. Ma réponse ne se fit pas attendre: " Sire, remerciez Son Altesse Alexandre pour cet honneur, mais je ne vois pas de quelle façon je pourrai l'accepter. Je suis français, je combats pour ma nation et ne me sens, d'aucune manière, une âme de mercenaire."

L'empereur se mit à rire et posant sa main sur mon épaule:" je vois que votre titre impérial ne vous a pas gâché, colonel. Vous êtes toujours aussi droit et je vous en félicite. J'apporterai moi-même votre réponse au tsar. En attendant, ajouta-t-il, en décrochant une décoration de son uniforme, je vous fais chevalier de la couronne de fer. Vous le méritez pour votre bravoure et votre fidélité." Je reçus l'accolade d'un des souverains les plus puissants du monde, si ce n'était pas le plus puissant, me demandant quand j'allais me réveiller, mais mes souffrances me rappelaient à chaque instant que je ne rêvais pas et que tous ces honneurs étaient bien réels.

Je repris la route de la France avec le sentiment d'un soldat comblé, mais aussi usé. J'avais fait valoir, auprès de l'empereur, mon désir de m'éloigner des champs de bataille. Il me répondit de l'accompagner encore dans cette campagne espagnole et qu'après il accepterait mes droits à la retraite. Je savais maintenant ce qui m'attendait et

j'espérais, malgré moi, que cette campagne serait courte.

Je dus vite déchanter. Je côtoyai l'odeur du sang et de la mort pendant encore deux années.

D'abord, ce fut l'Espagne et les prises de Burgos, la victoire de Somosierra qui nous ouvrit les portes de Madrid qui capitula le 4 décembre. Nous poursuivîmes les Anglais jusqu'en Galice. Ils rembarquèrent le 15 février 1809 au moment où l'Autriche réarmée se montrait menaçante.

Au mois de mars, il nous fut demandé de faire route vers l'Allemagne, l'archiduc Charles menaçait la Bavière.

Sur le trajet, nous fûmes autorisés à séjourner deux semaines chez nous. J'en profitai pour retrouver mes deux princesses avant de repartir le coeur gros vers la frontière de l'Est.

Les troupes autrichiennes entrèrent en Bavière début avril. Le 20 à Abensberg, le 21 à Landshut, le 22 à Eckmühl et le 23 à Ratisbonne où nous les mettions en pièce. Le 13 mai, nous entrâmes à Vienne. La "Grande Armée" n'était pas morte, elle savait encore se battre et vaincre.

L'armée autrichienne avait réussi à se cacher de l'autre côté du Danube, nous dûmes y aller la chercher. Une première confrontation eut lieu à Essling où l'armée de Masséna attaqua celle de l'archiduc. Ce fut une fois encore sanglant et incertain tant les pertes furent énormes des deux côtés. Le 22 mai, nous apprenions la mort du maréchal Lannes qui avait été blessé aux jambes. La peine fut générale tant le courage du duc de Montebello nous porta tout le long de ces années de campagne. Notre empereur, lui-même, ne cachait pas sa tristesse. C'est, avec un esprit de revanche, que nous affrontâmes les Autrichiens à Wagram. Nous étions le 5 juillet.

Les combats dureront deux jours. Il faudra beaucoup de courage aux jeunes soldats de l'armée impériale pour venir à bout des troupes autrichiennes. Encadrés par de vieux "grognards", ils se battirent avec toute la foi en leur cause et cela finit par payer. Le général Davout avait installé une batterie d'artillerie comme jamais on n'en vu sur un champ de bataille. Plus de 100 pièces qui repoussèrent toutes les charges autrichiennes et qui firent beaucoup de dégâts dans leurs rangs. Quand nos fantassins prirent le dessus sur l'ennemi au second jour des combats, notre empereur nous demanda de finir le travail. Sous les ordres de l'impétueux général Lasalle, nous chargeâmesl'armée de l'archiduc. Les troupes ennemies furent décimées et les survivants s'enfuirent en direction de Vienne. Nous dûmes déplorer, malgré tout, parmi les milliers de morts, celle du général Lasalle emporté par sa fougue, il ne sut, cette fois-ci, se protéger et mourut d'une balle en pleine tête à 34 ans.

"Quatre ans de trop", aurait-il dit. Nous avions encore vaincu les soldats ennemis, mais jusqu'à quand? Les traités de paix ne semblaient être signés que pour être violés.

L'empereur d'Autriche François II capitula avant de devenir moins d'un an plus tard le beau-père de Napoléon. Les alliances ont parfois des effets surprenants.

J'étais malgré tout mal placé pour m'étonner de telles alliances. Angélique, mon aimée, était bien la fille d'un général français et d'une fille de général autrichien.

Ce soir-là, je reçus un courrier de ma tendre épouse qui m'annonçait qu'elle était enceinte et attendait un futur héritier, du moins l'espérait-elle, pour la fin de l'année. Que Wagram soit béni! La journée fut heureuse au plus haut point.

L'année 1809 se poursuivit dans l'armée d'Espagne où ne fûmes, à nouveau incorporés. La paix y était revenue, grâce à l'intervention énergique de notre empereur qui mit à mal les velléités de révolte. Mais la plaie n'était pas entièrement refermée quand Napoléon, supportant mal le non- respect du traité d'Erfurt par le tsar de Russie, envisageait d'envahir le pays sous prétexte qu'il refusait de poursuivre le blocus continental.

J'appris, dans les plaines espagnoles, que j'étais père d'une autre petite fille; Jacqueline, née le 15 décembre. La déception de ne pas avoir encore d'héritier mâle ne dura que le temps de l'apprendre. Cette nouvelle, ajouté à mes douleurs incessantes sur le cheval me fit accélérer ma demande de mise à l'écart du service actif.

Pour l'heure, nous venions d'entrer dans l'année 1810, notre empereur obtint l'annulation de son mariage avec Joséphine et dans la foulée, il signa son contrat de mariage. Avec Marie-Louise, princesse d'Autriche, fille de l'empereur François II qu'il épousera le 1er et 2 avril.

Le maréchal Masséna était nommé commandant en chef de l'armée du Portugal où il y connaîtra de grandes désillusions.

Au printemps, mis au repos à cause de mes blessures qui m'empêchaient, chaque jour un peu plus, de me tenir à cheval, je restai quelques semaines auprès de mon épouse et de mes filles. Mon beau-père, âgé et fatigué, passait son temps auprès de nous. Angélique m'assura d'une nouvelle grossesse et priait chaque jour pour que ce fût un fils.

Au mois de juillet, je dus me rendre en Westphalie où le roi Jérome me remit la dotation sur mes "biens". Puis, en Bavière, je fus fait Chevalier de l'ordre militaire de Maximilien Joseph .

Fin août, je pouvais, enfin, rentrer en France. L'empereur, accédant à ma demande, me fit commandant d'armes. Je revins auprès de mes hommes pour partager avec eux, une dernière fois, la chope de l'amitié. Mon accolade avec Honoré dura plus que de coutume. Je ne savais pas encore que je ne le reverrais plus. Il disparaîtra comme beaucoup d'autres dans la débâcle de Russie.

Je pris mes fonctions à Ostende, début octobre et fut admis à la retraite en décembre de la même année.

Ainsi se tournait une page de ma vie; celle de ma carrière militaire...du moins le croyais-je.

Il faut dire que le 20 octobre, Angélique donna naissance à un fils que l'on appela Jacques, Louis, Ange, Eugène. Ma descendance était assurée; j'étais comblé.



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lundi 29 juin 2009

Récit d'un hussard (13)

LA CAMPAGNE DE POLOGNE


Il me serait difficile d'oublier les derniers jours de cette année 1806 tant le froid qui recouvrait les plaines de Prusse et de Pologne était intense et surtout du fait de la bataille de Golymin qui fut pour mon régiment et pour moi-même un moment de gloire.

Notre situation était difficile. Nous chevauchions depuis plus d'une année, sans répit. Nous avions, jusque-là vaincus, conquis Berlin, mais les troupes russes se rassemblaient et se préparaient à nous attaquer. "La grande armée" de l'empereur était fatiguée, exténuée. Nous ne mangions pas à notre faim et les populations que nous rencontrions étaient plutôt hostiles. Cela "grognait" dans les rangs et chacun se demandait quand il reverrait la France, s'il la revoyait. Nous devions déplorer beaucoup de suicides tant les hommes affaiblis, affamés ne voyaient pas d'autre issue à leur calvaire.

L'empereur demanda à Paris, l'appel sous les drapeaux de la conscription de 1807 avec quelques semaines d'avance. Ces hommes viendraient renforcer notre armée au seuil de futures batailles. Il organisa aussi le dépôt de vêtements et de vivres ainsi que la réquisition de plus de 10 000 chevaux.

Malgré cela le moral des troupes était très bas et j'avoue que moi-même, je désespérais de retrouver mon épouse et découvrir ma fille un jour. Le froid et la boue qui étaient notre quotidien alimentaient nos pensées les plus sombres. Même les généraux et maréchaux semblaient fatigués de cette campagne qui n'en finissait pas.

Après seulement trois semaines de repos, ordre nous fut donné de seller les chevaux et de faire route avec les armées de Davout, Lannes et Augereau, vers Varsovie.

Le général Benningsen, commandant en chef des troupes ennemies, était rentré dans la capitale polonaise et notre empereur voulait à tout prix empêcher que celui-ci puisse faire jonction avec le reste des troupes prussiennes, avide de revanches après leur débâcle d'Iéna. Les autres corps de la grande armée devaient passaient la Vistule plus en aval et déborder les forces russes par le nord.

Le prince Murat, du fait de son rang, avait pris le commandement de cette armée avec le titre de lieutenant - général. Lorsque nous arrivâmes aux portes de Varsovie, nous constatâmes que le général Benningsen avait quitté les lieux et notre entrée dans la ville fut acclamé par les habitants.

Notre empereur vînt nous rejoindre le 18 décembre alors que la pluie qui ne cessait de tomber rendait les routes impraticables, ce qui rajouté à la fatigue de la marche, rendait l'avancée des troupes encore plus pénible. Le matériel s'embourbait ainsi que les chevaux et la grogne augmentait dans les rangs de notre armée. Notre empereur, lui-même, dut abandonner sa berline et finir son voyage sur un simple bidet de poste.

Malgré cela chaque armée progressait et après avoir reconstruit les ponts sur la Vistule, nous nous préparions à encercler les troupes russes. Celles-ci s'étaient concentrées dans les régions de Golymin et de Pulstusk.

Le 24 décembre, Napoléon décida de les attaquer avant qu'elles n'aient le temps de consolider leurs positions.

L'armée du maréchal Lannes s'affrontait durement avec le gros des troupes russes à Pulstuck tandis que nos forces en compagnie de celles des maréchaux Ney, Augereau et Soult attaquèrent Golymin.

Il faut imaginer ce que fut cette bataille. La pluie ne cessait de tomber rendant toute progression pénible et lente. Nos chevaux s'extirpaient difficilement de la boue, l'artillerie s'embourbait jusqu'aux essieux et l'ennemi nous tirait sur place. Ainsi, alors que nous avancions malgré tout, nous vîmes le corps de cavalerie pliait sous les charges de la cavalerie russe et surtout la brigade du général Lassalle, héroïque tout le long des campagnes se retirait de la bataille sans avoir donné. Cet abandon mettait en péril tout notre dispositif. Mon régiment étant le plus proche, je n'hésitai pas une seconde. Extirpant mon cheval de la boue, j'ordonnai à mes hommes de me suivre et de contrer l'attaque ennemie.

Ainsi, nous dûmes nous battre dans ces conditions déplorables et résister aux charges d'une cavalerie plus nombreuse, mais moins aguerrie que nous. Nous nous servions de leur fougue pour les entraîner vers des terrains où notre expérience de la guerre pouvait s'exprimer. Pendant des heures, nous luttâmes contre ces jeunes cavaliers qui tombaient nombreux, bravement. Mes hommes, aussi, subissaient ses attaques et beaucoup d'entre eux mourraient. Je désespérai de venir à bout de cette furia, quand enfin dans un réflexe de la dernière chance, je repositionnai mes hommes différemment. Ceci perturba la cavalerie ennemie et nous pûmes, à notre tour, passer à l'offensive. Les jeunes cavaliers russes nous voyant foncer sur eux, sabre en avant, hurlant, prirent peur et subirent notre charge avec de telles pertes qu' ils rompirent le combat nous laissant leur étendard. Nous avions vaincu et nos troupes à pied s'emparèrent de Golymin. Nous étions épuisés, mais fiers d'avoir déjoué les plans du général russe.

Il y eut durant cette bataille un fait invraisemblable. Le général Lassalle qui était un guerrier intrépide et qui considérait un hussard de trente ans encore vivant comme un jean-foutre fut déshonoré de voir ses hommes s'enfuir. Il les pourchassa, les arrêta, leur fit faire demi-tour et les positionna à l'arrêt face à l'artillerie russe, le sabre au fourreau. Il leur faisait subir "l'expiation". Ses hommes tombaient autour de lui sans combattre. Lui-même vit deux chevaux mourir sous lui. Cette exécution ne cessa que lorsque nous repoussâmes l'armée ennemie et pûmes nous emparer de leur artillerie " empoissée dans la boue".

L'étendard dont nous nous étions emparés fut le symbole de cette journée.

Je le déposai aux pieds de notre empereur. Celui-ci me releva, déclara devant l'armée réunie que c'était grâce à des hommes courageux comme ceux de notre régiment que les victoires se font au-delà de la stratégie de leurs chefs. Il me fit, sur le champ, colonel titulaire du 1er hussard et me remit la croix d'officier de la Légion d'honneur, ajoutant à l'oreille:" je vous récompenserai autrement un peu plus tard." Après cette mystérieuse phrase, il fit donner les honneurs à notre régiment. Le soir, avec mes hommes et malgré l'épuisement qui était le nôtre, nous fêtâmes tard dans la nuit cette mémorable journée.

Les jours qui suivirent ne furent que poursuite. Le corps d'armée du maréchal Lannes fut positionné à l'est de Varsovie empêchant toute éventuelle tentative de reprise de la capitale polonaise. L'armée du maréchal Bernadotte se trouvait plus au nord et celui du maréchal Lefèbvre fit le siège de Dantzig où s'étaient retranchés 18 000 Prussiens. Le maréchal Ney devait empêcher le maréchal Lestock de rejoindre les troupes russes et devait faire la liaison avec les troupes cantonnées plus au sud.

Bien entendu, le maréchal toujours aussi intrépide et ne connaissant pas la patience s'engagea plus en avant à la poursuite des troupes prussiennes et malgré les injonctions de notre empereur, il continua sa progression en direction de Bartenstein.

Notre empereur fit en sorte que nos conditions changèrent. Ainsi, nous reçûmes une chemise, un sac de couchage, des bottes ou des souliers selon l'arme dans laquelle nous servions. La nourriture, elle aussi, fut améliorée.

De son côté, le général Benningsen se préparait à lancer une contre-attaque contre notre armée en la contournant par le nord.

Mais, le général fut bien surpris de trouver sur sa route les unités du maréchal Ney. Ce dernier, comprenant qu'il avait face à lui, l'avant-garde le l'armée russe se replia en prévenant le maréchal Bernadotte et l'Empereur. L'effet de surprise sur lequel comptaient les Russes était éventé.

A son tour, notre empereur organisa sa contre-offensive, mais ses ordres furent interceptés par l'ennemi ce qui modifia encore le mouvement des troupes. Notre empereur qui avait prévu d'encercler l'ennemi, apprenant leur changement de stratégie, décida de couper l'armée russe en deux et donna les ordres en conséquence.

Nous qui espérions passer l'hiver dans notre cantonnement, nous étions de nouveau sur les routes après seulement trois semaines de repos. Cà "grognait" dans les rangs ce qui fit dire à Napoléon:" ils grogneront, mais ils marcheront!" Et nous marchions.

Une première rencontre avec l'ennemi eut lieu au village de Jonkovo où une partie de l'armée russe s'était rangée en ligne de bataille. Nous combattîmes de front et cela dura jusqu'à la tombée de la nuit. À l'aube, nous nous aperçûmes que, profitant de l'obscurité de la nuit, une grande partie des forces ennemies s'était retirée, ne laissant qu'une arrière-garde. Le village fut pris et nous dûmes, sans repos, continuer notre poursuite. C'est ainsi qu'après plus de 85 kilomètres de marche vers le nord, nous rattrapâmes une partie de l'armée ennemie dans le ravin de Hoff.

Le terrain était très accidenté et nous trouvâmes là un gros détachement d'infanterie protégé par quelques escadrons de la cavalerie russe. Le maréchal Murat nous fit charger l'ennemi, bien décidé à en finir rapidement. Appuyés par les dragons du général Klein et les cuirassiers du général d'Hautpoul, nous attaquâmes de deux côtés à la fois. La cavalerie russe, installée sur plusieurs lignes, nous barrait la route. Notre charge fut contenue une première fois par ces cavaliers courageux, mais notre application à respecter les ordres de notre prince-maréchal paya et les troupes rompirent le combat. En les poursuivant et les acculant dans un bois près du village, certains d'entre eux firent soudain volte-face. Par cette manoeuvre, je me retrouvai un instant coupé de mes hommes et dus faire face à trois cavaliers russes. Ces derniers m'attaquèrent de trois côtés, j'essayai de me dégager, mais un violent coup de sabre sur l'épaule me fit vaciller. Je ne dus la vie sauve qu'à l'arrivée de mon ami et protecteur. Honoré. En compagnie d'une partie de mes hommes, il se porta à mon secours et désarçonna mes agresseurs. Je sentais le sang couler dans mon dos. La blessure était douloureuse, mais me paraissait peu grave.

Le soir au bivouac, je fus soigné et le chirurgien voulut me faire évacuer, craignant que la blessure ne s'ouvre à nouveau. Je lui assurai que çà irait et qu'il n'était pas question que j'abandonne mes hommes maintenant.

C'est dans cet état que j'arrivai en compagnie de mon régiment à la suite de l'armée de la nation à Eylau où s'était réfugiée l'armée du général Benningsen.

Quelle journée terrible! Le froid était intense et nous allions vivre la bataille la plus terrible de toute notre épopée.

Le maréchal Davout avait bien commencé la bataille en prenant par surprise plusieurs villages aux troupes russes. Mais ceux-ci au milieu des flocons qui commençaient à tomber résistèrent et ainsi, pendant plusieurs heures les deux armées s'affrontèrent et se reprirent mutuellement les villages. Nous étions en réserve de la bataille. Le prince Murat, à nos côtés, observait le déroulement des opérations et voyant le maréchal Davout en difficulté, s'apprêta à nous demander d'aller à son secours, mais l'empereur préféra diriger l'armée du maréchal Augereau vers celle de Davout. Le temps qui fut si souvent notre allié devint ce jour-là notre pire ennemi. Au moment où les troupes du maréchal Augereau firent marche, une tempête de neige se leva aveuglant les pauvres soldats. Ceux-ci ne sachant plus se diriger allèrent trop à gauche et se retrouvèrent face à l'artillerie russe. Les canons tonnèrent à bout portant, décimant l'armée du maréchal qui lui même fut blessé. Trois de ses généraux de division moururent sur le champ de bataille. Profitant de la situation la cavalerie russe se rua sur les pauvres fantassins et les sabra sans pitié. Le 14éme régiment fut pratiquement anéanti. L'empereur voyait cela et n'en croyait pas ses yeux. La charge des cavaliers russes fit une brèche dans nos rangs et ils vinrent menacer le cimetière où l'empereur avait installé son état-major. Celui-ci se tournant vers le prince Murat lui dit:" vas-tu nous laisser dévorer par ces gens-là ?" Alors, le prince se tourna vers nous et nous cria:" allons venger nos camarades et que notre sabre ne se baisse que lorsque la cavalerie russe sera entièrement anéantie".

Nous levâmes tous notre sabre et en criant nous nous lançâmes à l'assaut de l'ennemi. Cette charge fut la charge la plus grande de mémoire de soldats. Nous étions plus de

10 000 cavaliers à fondre sur les Russes. À l'aller comme au retour, nous sabrâmes sans relâche. Tous ces corps sans vie qui nous entouraient nous donnaient encore plus de volonté. Les Russes furent bientôt submergés par notre colère. Ma blessure s'était réouverte, mais je n'y faisais pas cas tant ce combat anesthésiait ma douleur.

Notre attaque avait réussi. Le cimetière était préservé et la cavalerie ennemie eut d'énormes pertes.

Durant tout l'après-midi, le combat resta incertain. Il fallut l'arrivée, en fin de journée, des troupes du maréchal Ney pour qu'enfin le combat tourne à notre faveur et voit les troupes du général Benningsen se retirer.

Le lendemain, après un bivouac bien mérité, nous pûmes constater l'ampleur des pertes. Un véritable carnage.

L'empereur avait renoncé à faire poursuivre le général russe tant nos soldats étaient épuisés.

Quand, vers midi, il revint sur le champ de bataille, il parut choqué. Ses valeureux soldats le voyant passer n'avaient plus la force de se lever devant lui. L'empereur parcourait le champ de bataille en silence comme hébété. Il finit par murmurer, alors qu'il passait devant nous:" quel massacre! Et sans résultat! Spectacle bien fait pour inspirer aux princes l'amour de la paix et l'horreur de la guerre!"

Le champ de bataille encore fumant n'était qu'un entassement de corps; soldats russes et français mêlés. Même pour les plus aguerris d'entre nous, le spectacle était difficilement soutenable. Nous marchions à la recherche de camarades tombés auprès de nous. J'avais perdu beaucoup de mes hommes et je recherchais leurs corps pour leur offrir une sépulture digne de leur bravoure. Il nous faudra des jours entiers pour ensevelir tous ces pauvres gars raidis par le froid. Notre empereur resta auprès de nous durant les huit jours qui furent nécessaires pour mener à bien cette triste corvée. Il activa les secours aux blessés, particulièrement touché par la mort de son aide de camp: Claude Corbineau.

Et dire qu'après cela, il allait falloir se remettre debout et affronter encore cette armée russe qui n'était pas anéantie. Plus de 30 000 morts de leur côté, 20 000 chez nous. Le compte était impudique et les images qui nous restaient de cette bataille, le rendait intolérable.

"Ma mie! Ma mie! Quand te reverrais-je ?" J'étais fatigué. Cette bataille m'avait profondément marqué. Honoré, lui aussi parlait peu. Il avait été blessé à la tête et ressentait encore des douleurs au lever.

Pourtant, dès le début mars, les troupes russes passèrent à l'offensive et attaquèrent le maréchal Ney. Les hostilités reprenaient.

Nous devions chevaucher vers Heilsberg pour occuper le plus longtemps possible les troupes russes qui s'y trouvaient, permettant à notre empereur de se positionner avec le gros de son armée sur Landsberg et prendre à revers l'armée du général Benningsen.

Nous fûmes reçus par une armée russe bien plus nombreuse que nous. Nous combattions à un contre deux, vaillamment, au risque d'être encerclés. Heureusement, prévenu de la situation, l'état-major nous envoya des renforts ce qui nous permit de nous dégager.

Pendant quelques jours encore les deux armées se sondèrent avant que leurs généraux en chef décidassent de se retirer et d'installer leurs bivouacs respectifs autour d'Eylau. Nous étions début avril et l'attente commençait. Combien de temps durera-t-elle?

Deux mois. Deux mois à panser nos plaies physiques et morales. Nous reçûmes de meilleures rations, puis arrivèrent des contingents de jeunes conscrits de France, de Hollande, de Bavière, de Saxe et d'Italie et de nombreux chevaux fringants et racés.

Le 10 juin, une première bataille eut lieu à Heilsberg. Nos troupes qui étaient engagées repoussèrent les troupes russes qui allèrent se réfugier à Friedland.

Le 14 juin, nous y étions aussi. Et vers cinq heures de l'après-midi, notre empereur décida d'attaquer. À ses officiers qui s'étonnaient de l'heure tardive, il leur dit qu'à cette époque de l'année le soleil se couchait tard. Puis, se tournant vers le maréchal Berthier, il lui demanda:"Quel jour sommes-nous? - le 14 juin, sire, lui répondit-il - 14 juin? Jour de Marengo! Jour de gloire! S'exclama notre empereur. Cette exclamation traversa les rangs de la grande armée, chacun la répétant comme un cri de ralliement.

La bataille dura jusqu'à dix heures du soir, mais, en ce jour anniversaire, rien ne pouvait nous arriver. L'armée russe fut vaincue, perdant encore plus de 20 000 hommes. Nous poursuivîmes les restes des troupes jusqu'à Koenisberg où l'arrière-garde ennemie sous le commandement du général Lestocq fut faite prisonnière.

Nous continuâmes jusqu'à la ville de Tilsitt où notre prince- maréchal reçut le prince Lobanov-Rostovsky qui venait solliciter un armistice. Le maréchal Murat le fit conduire auprès de notre empereur qui le retint à dîner.

Ils décidèrent que le temps des batailles était terminé et que maintenant venait celui des pourparlers.

Ainsi, la campagne de Pologne se terminait et il était dit dans les rangs que nous allions enfin rentrer chez nous. Nous n'osions pas trop y croire encore.

Le 7 juillet, un traité est signé à Tilsitt, entre notre empereur et le tsar. La Russie devint notre alliée. Les deux empereurs ayant la même haine de l'Anglais. De plus, ils se payèrent sur le dos de la Prusse. Celle-ci perdit une grande partie de ses territoires à l'ouest de l'Elbe ainsi qu'en Pologne. Elle dut payer d'énormes indemnités de guerre. La Russie accepta d'adhérer au blocus continental contre l'Angleterre. Notre empereur et, par lui, notre nation étaient au sommet de sa puissance.

L'année 1807 entrait en été, ma fille allait sur ses deux ans et j'allais enfin la connaître. Notre retour venait d'être confirmé.

dimanche 28 juin 2009

Récit d'un hussard (12)

Le modem nouveau est arrivé (après huit semaines), merci Johann.
Mon récit peut reprendre.


IENA


1806. L'année s'étirait paresseusement. Nous étions cantonnés sur les terres de Bavière ou de Moravie, en attente de rentrer chez nous. Cela faisait bientôt dix mois que nous avions vaincu à Austerlitz et l'empereur gardait ses troupes auprès de lui, tant qu' une paix sûre et durable n'était pas signée avec l'ex-coalition.

Nous avions passé l'hiver, le printemps puis l'été à surveiller les pays conquis sans que nous ayons à subir le moindre combat. Les troupes profitaient de ces instants de répit.

Mais à l'automne, les événements s'accélérèrent. La Prusse qui était restée en dehors de la troisième coalition, ayant reçu en contrepartie le territoire d'Hanovre, commençait à s'agiter.

L'empereur, qui réorganisait l'ancien Saint-Empire en confédération du Rhin, promettait aux états le composant, son protectorat. De plus, pour s'assurer la paix avec le Royaume-Uni, il envisageait de rétrocéder Hanovre aux Anglais. Tout ceci inquiétait l'empereur de Prusse qui voyait son influence diminuait sur les territoires voisins.

Les espions de l'empereur le prévinrent que depuis le mois d'août, l'impératrice de Prusse; Louise de Mecklenbourg-Strelitz attisait la haine des officiers prussiens contre notre nation. Ceux-ci s'amusaient à aiguiser leurs sabres sur les marches de l'ambassade de France à Berlin, ce qui fit dire à l'empereur Frédéric-Guillaume III :" pas besoin de sabres, les gourdins suffiront contre ces chiens de Français!"

Cette invective, lorsqu'elle fut connue de notre campement, excita chacun d'entre nous. Que la Prusse nous déclare la guerre et nous repousserons son armée jusqu'à Berlin.

Le 8 octobre, on nous lut un bulletin nous disant ce que nous pressentions déjà : " Soldats! L'ordre de votre rentrée en France était déjà donné, des fêtes triomphales vous attendaient. Mais des cris de guerre se sont fait entendre à Berlin. Nous sommes provoqués par une audace qui demande vengeance."

Nous étions prêts. Plus vite nous vaincrions cette armée, plus vite nous serions chez nous.

Un an que nous étions partis. Un an loin de nos familles, la séparation devenait pesante. Un an que ma fille était née et je ne la connaissais pas encore. Angélique m'envoyait des lettres où elle me la décrivait, me rassurait sur sa santé et m'écrivait son impatience de me revoir revenir auprès d'elle. Devant ma mélancolie, Honoré se félicitait d'être célibataire et m'assurait, une fois encore, de sa protection, désireux de me voir revenir en France bien vivant.

Le 9 octobre, nous reçûmes l'ordre de faire marche vers la Prusse, destination Berlin.

L'empereur décida d'envoyer une partie de sa cavalerie en reconnaissance à la recherche des armées ennemies; nous en fûmes. De son côté, l'armée du maréchal Lannes rencontra des troupes prussiennes à Saalfeld. Elle les repoussa après un combat âpre et indécis. Il fallut la mort du prince Louis Ferdinand de Prusse, neveu de l'empereur pour que les troupes ennemies rompirent le combat. Ce fut le jour de gloire d'un jeune hussard du 10éme; Jean-Baptiste Guindey. Ce jeune maréchal des logis de vingt ans venait de rejoindre depuis un an les corps d'armée du maréchal Lannes. Lors de cet affrontement où le prince prussien avait choisi un bien mauvais champ de bataille; coincées entre une colline et deux rivières en contrebas, ses troupes subirent la détermination de celles de l'armée française. Après quelques heures d'affrontements et malgré le courage des soldats ennemis, ils furent débordés. C'est lors de ce repli, quand le prince voulut sauter une haie et que son cheval s'y empêtra qu'il fut rejoint par le jeune hussard. Celui-ci ne le reconnut pas et croyant avoir à faire à un officier ennemi, le somma de se rendre. Le prince Louis-Ferdinand préféra faire face et se défendre. Il blessa Jean-Baptiste Guindey à l'oreille, mais celui-ci répliqua et porta plusieurs coups au prince prussien au bras et à la tête, un dernier coup de sabre à la poitrine vit Louis-Ferdinand tomber de son cheval; mort.

Le maréchal Lannes fit rendre les hommages au prince mort au combat et envoya une estafette prévenir l'empereur.

Tous ces faits nous furent rapportés par le chirurgien major Virvaux qui assista à la bataille et qui, le lendemain, examina le corps du prince en la chapelle de Saalfeld.

La nouvelle de la mort du neveu de l'empereur Frédéric-Guillaume fut accueillie dans nos rangs par une immense clameur; l'affrontement contre la Prusse commençait de la meilleure façon qui soit.

C'est donc le lendemain de cette première victoire qu'il nous fut ordonné d'aller à la rencontre des troupes prussiennes vers la ville de Liepzig. Nous n'y vîmes personne. Les plaines entourant la ville étaient désertes. Pas un soldat, pas un paysan comme si la région avait été désertée. Il était clair que les troupes prussiennes avaient choisi un autre lieu d'affrontement.

D'autres éclaireurs prévinrent l'empereur qu'en fait l'arrière-garde prussienne se trouvait du côté d'Iéna et que le gros de l'armée était plus au nord. Il nous fut demandé de laisser là nos reconnaissances et de venir rejoindre les troupes impériales à Iéna. Napoléon avait décidé de s'y rendre et ordonna au maréchal Davout de se diriger vers le nord pour couper la route aux forces prussiennes. Il devrait les affronter que si leur nombre était réduit, dans le cas contraire il devrait attendre le renfort du maréchal Bernadotte.

Une fois encore, notre empereur mettait sa stratégie en place. Nous étions tous persuadés que celle-ci comme les précédentes allait avoir raison des armées ennemies.

Le 13 octobre, alors que nous chevauchions vers la ville prussienne, l'armée de notre empereur arrivait près de la ville d'Iéna et là, nos éclaireurs repérâmes des troupes ennemies positionnées sur le plateau du Landgrafenberg, au-dessus de la ville.

Nos troupes s'installèrent à l'écart du plateau et attendirent la nuit. Notre empereur ordonna que ne fussent allumés que très peu de feux de bivouac. Il put ainsi observer le positionnement des soldats d'en face qui, eux, avaient un très grand nombre de feux allumés, ce qui lui fit croire que toutes les forces prussiennes étaient rassemblées sur ce plateau.

Lorsque nous rejoignîmes l'armée française dans la matinée, le brouillard venait à peine de se lever et la bataille bien engagée.

Mis en réserve à l'arrière du champ de bataille, nous eûmes le temps d'être renseignés sur le déroulement des événements depuis le début des opérations.

Ainsi, nous apprîmes que dans la nuit, l'empereur décida de prendre d'assaut le plateau. Il ordonna au maréchal Lannes de faire monter ses divisions jusqu'au sommet et à l'artillerie de le suivre. Il semblerait que ce ne fut pas facile tant les chemins empruntés étaient escarpés. L'empereur, lui-même, une lanterne à la main guida les artilleurs dans leur tâche.

Une fois au sommet, Napoléon dit aux troupes de ne pas craindre la cavalerie prussienne et que leurs carrés d'infanterie étaient largement efficace pour lui tenir tête.

Malgré le brouillard ou grâce à lui, le maréchal Lannes entraîna ses troupes sur les positions de l'avant-garde prussienne.

Ses divisions s'étaient séparées, chacune visant un objectif différent. Ainsi, le général de brigade Claparède surgit devant le village de Closewitz où se trouvaient les bataillons saxons de Frédéric Rechten et le bataillon prussien de Zweifel. Ces derniers, surpris, firent feu sur nos troupes qui répliquèrent. Pendant plusieurs minutes les deux camps se fusillèrent sans que la situation n'évoluât.

Alors, le général Claparède ordonna à ses troupes légères d'aller au pas de charge s'emparer du bois qui encerclait le village et de surprendre l'ennemi. Ce qui fut fait. Les soldats finissant leur travail à la baïonnette.

Les divisions du général purent ainsi continuer leur progression vers les lignes ennemies et ceci, malgré les tirs d'infanterie qu'elles recevaient.

De son côté, le général Gazan n'arrivait pas à s'emparer du village de Cospeda solidement défendu. Après avoir repoussé une sortie des troupes ennemies, le général décida de contourner le village et d'attaquer par le flanc. Bien lui en prit, car après de rudes combats, les troupes françaises s'emparèrent du village et sur leur lancée, elles s'emparèrent du hameau de Lutzenrode.

Les divisions du maréchal Lannes progressaient toujours, même si le général prussien Tauenzien, général en chef de l'armée ennemie, avait repositionné ses troupes qui offraient ainsi une résistance à nos soldats.

Mais, une fois encore, nos vaillants fantassins, baïonnette au canon, montèrent à la charge des lignes ennemies et finir par les rompre ce qui eut pour effet d'entraîner dans leur fuite la majorité des troupes qui formaient l'avant-garde prussienne. Nos soldats ainsi s'emparèrent d'un grand nombre de canons et firent beaucoup de prisonniers.

Par cette action les troupes du maréchal Lannes ouvrirent le passage vers le plateau et la ville d'Iéna. Notre empereur était satisfait; il allait pouvoir installer son artillerie sur les hauteurs.

Les positions étaient établies. Le maréchal Lannes était au centre, à gauche du plateau se trouvait l'armée du maréchal Augereau, à droite, le maréchal Soult. Plus en arrière se trouvaient les troupes du maréchal Ney qui devait patienter et ne pas s'engager. C'est à ce moment-là que nous rejoignîmes la Grande Armée et vînmes nous positionner en réserve des troupes engagées. Il était neuf heures du matin, le soleil n'arrivait pas encore à traverser le brouillard.

Pendant une heure, ce ne fut que mouvement de troupes. Les Autrichiens se rendant compte de leur erreur, comprenant enfin qu'ils avaient face à eux la totalité ou presque de l'armée française. Le général Tauezien se voyait obligé de repositionner son armée.

De son côté, notre empereur attendait que toutes ses divisions soient en place pour lancer l'offensive. Du fait du brouillard, il était difficile d'observer tous ces mouvements. Il devait attendre les estafettes qui l'avertissaient des positions de ses différentes armées. L'information que lui apporta l'un de ces messagers le laissa sans voix; le maréchal Ney était passé à l'offensive. Il était dix heures du matin.

Notre général en chef entra dans une colère retentissante. Ainsi, le jeune maréchal ne put encore freiner sa fougue et engagea son armée dans un affrontement dont l'empereur jugeait l'issue incertaine.

Profitant du brouillard, il s'était glissé entre les armées des maréchaux Lannes et Augereau sans que ceux-ci

s'en rendent compte. Mais ce que ne savait pas l'impétueux maréchal, c'est qu'au même instant, le général prussien Hohenlohe lançait sa cavalerie contre les troupes des maréchaux Lannes et Augereau. Par son avancée, le maréchal Ney se trouvait à l'avant-garde; c'est donc ses soldats qui reçurent la charge de la cavalerie prussienne.

À cet instant, le brouillard se leva légèrement permettant à notre empereur d'observer le champ de bataille.

Ce que nous vîmes tous nous pétrifia. L'artillerie prussienne, bien en place, décimait les rangs de l'armée du maréchal Ney qui s'était de trop avancée.

S'abritant dans un bois, Ney rassembla sa cavalerie légère et la fit charger l'artillerie à cheval ennemie. La manoeuvre réussie et la cavalerie s'empara de nombreuses pièces. Mais la cavalerie ennemie, à son tour chargea et repoussa le 10éme régiment de chasseurs à cheval. Après diverses attaques et contre-attaques, notre cavalerie dut se retirer derrière l'infanterie qui accueillit les cavaliers prussiens à coup de mousqueterie, ceux-ci perdirent beaucoup d'hommes. Mais ils chargèrent encore et encore. La situation du maréchal devenait précaire.

L'empereur décida de reprendre l'offensive. Il commanda à ses armées d'avancer sur l'ennemie et nous ordonna, sous les ordres du général Bertrand, d'aller porter secours au maréchal Ney.

Nous voici plongés dans la bataille. Le brouillard était maintenant entièrement levé et nous permettait de voir l'ensemble du champ de bataille. Que de corps éparpillés deci - delà! des blessés, des morts, des pièces d'artillerie oubliées. L'odeur fétide, bien connue, des champs de bataille particulièrement meurtriers. Nous n'y faisions plus attention, notre seul but était de porter aide à nos camarades. Avec Honoré à mes côtés, nous chevauchions vers les armées du maréchal qui continuaient à subir les assauts des troupes prussiennes.

La rencontre fut brutale. La cavalerie du maréchal Ney était en bien mauvais état, beaucoup de morts, les survivants se battant avec courage contre des soldats supérieurs en nombre et en armement. L'infanterie française manquait de munitions ce qui obligea le maréchal à éparpiller ses bataillons et ainsi offrir une résistance moins compacte. En agissant de cette façon, le maréchal Ney se découvrit et sa sécurité devenait plus problématique.

Notre régiment en avant-garde faisait une brèche dans les rangs ennemis. Nous sabrions autant que possible. Notre arrivée ayant rééquilibré les forces, nous sentions les prussiens plus hésitants. Après avoir désarçonné quelques cavaliers ennemis, j'aperçus le colonel du régiment prussien qui se dirigeait droit vers le maréchal Ney, déjà en proie à l'attaque de deux cavaliers ennemis.

Je criai à Honoré:" avec moi !" Et nous fonçâmes vers le maréchal qui était prêt à être submergé.

En arrivant prés de lui, j'apostrophais le colonel qui fut tout surpris de me trouver face à lui. Alors qu'Honoré dégagé le maréchal de ses agresseurs, j'entamai mon combat contre l'officier de cavalerie ennemi. Son bras était lourd, ses coups faisaient mal, mais mon poignet ne cédait pas. Je luttai et voyais le visage de mon adversaire qui grimaçait sous l'effort. Il se battait depuis longtemps et je le laissai s'épuiser à frapper mon sabre. Il perdait peu à peu de lucidité et un coup plus appuyé le déséquilibra. J'en profitai pour l'attaquer et lui portai un premier coup sur l'épaule qui lui fit lâcher un cri de douleur. Je croisai son regard au moment où je plantai mon sabre à travers sa poitrine. Il resta quelques secondes figé, les yeux grands ouverts vers le néant et tomba sans vie. Le maréchal Ney s'approcha de moi et me glissa:" Merci, capitaine! Maintenant nous allons vaincre". Et l'impétueux officier bridait son cheval pour remonter à l'assaut. Je le suivais ainsi qu'Honoré qui ne me lâchait pas d'une selle. Les cavaliers prussiens virent leur commandant mourir et, désorganisés, préférèrent rompre le combat ce qui laissa leur infanterie à notre merci. Les soldats de l'armée du maréchal Lannes avaient rejoint ceux du maréchal Ney et tous ensemble, fondaient sur l'armée ennemie qui pliait peu à peu.

Nous dûmes encore affronter cette cavalerie courageuse et nombreuse qui revenait sans cesse au combat, pour protéger les fantassins du maréchal Lannes qui s'étaient retrouvés à portée de sabres ennemis. Nous progressions et comme les armées des maréchaux Soult et Augereau obtenaient de vifs succès, elles aussi, nous sentions que la victoire nous tendait les bras.

Les infanteries des divers corps d'armée prenaient village après village, bois après bois à l'ennemi, celui-ci se voyait repousser toujours plus loin. Le maréchal Soult put disposer son artillerie sur les hauteurs d'Iéna et ainsi fit d'énormes dégâts dans les rangs ennemis.

L'empereur Napoléon demanda à tous les corps d'armée de fondre sur l'ennemi et de le battre autant que possible. Ainsi, après l'artillerie, l'infanterie finit le travail à la baïonnette et fit un grand nombre de morts, de blessés et de prisonniers chez les Prussiens. Notre rôle fut de poursuivre les fuyards et de nous emparer du plus grand nombre d'étendards; ce qui fut fait. La victoire était totale et l'armée prussienne anéantie. Les renforts ennemis du général Rüchel arrivèrent trop tard et ne servirent qu'à protéger la fuite des armées du général Hohenlohe dans le plus grand désordre. Le général qui faillit être emporté par la vague de fuyards, s'accrocha à sa place et décida de poursuivre son avancée, parvenant en haut du plateau. Il y fut accueilli par les armées françaises réunies et fut tué d'une balle en pleine poitrine. Son aide de camp prit le commandement, mais submergés par nos forces réunies, les soldats prussiens débandèrent aussi vite qu'ils purent. Sous le commandement du prince Murat, nous contournâmes ces pauvres fantassins perdus et les encerclâmes, sabrant ceux qui voulaient se battre et faisant prisonniers ceux qui voulaient se rendre.

D'autre part, les grenadiers à cheval de notre corps d'armée achevèrent les dernières divisions qui résistaient encore sur le champ de bataille.

Notre empereur qui voulait en finir avec cette armée commanda au prince Murat de poursuivre l'ennemi qui s'était réfugié vers le village de Weimar et de faire en sorte qu'il soit mis hors de combat.

Tous escadrons réunis, nous fonçâmes sur les prussiens et les encerclâmes faisant encore de nombreux morts et des milliers de prisonniers. Cette fois-ci, la bataille était terminée et l'armée prussienne anéantie. " Ces chiens de Français " avaient répondu à l'arrogance de l'empereur Frédéric de la manière la plus claire.



Quelques jours plus tard, l'empereur me fit appeler auprès de lui et devant son état-major me félicita pour ma bravoure qui permit au maréchal Ney de mener à bien son entreprise:

" Capitaine, il semblerait que vous soyez destiné à protéger vos supérieurs. Je n'ai pas oublié votre initiative à Arcole. Je vous nomme colonel dans le premier régiment de chasseurs ou de hussards venant à être vacant".

Emporté par ma fougue, au lieu de remercier l'empereur pour cette promotion, je me suis entendu répondre:' Votre Altesse, je vous sais gré de cette nomination, mais je préfère encore garder mon grade et rester auprès de mes hommes. Ils me sont fidèles et je ne pourrais pas les abandonner pour un autre commandement."

À ma grande surprise, alors que je venais de me rendre compte de mon audace, l'empereur sourit:" décidément, capitaine Bigogne, vous n'êtes pas fait comme les autres. Votre fidélité vous rend unique. J'accède à votre demande. Vous serez colonel au 1er hussard quand le poste sera vacant".

Honoré Greff, lui-même, félicité et décoré, m'entraîna avec lui vers notre bivouac où m'attendaient mes hommes, déjà prévenu de ma réaction. Ils m'entourèrent et me félicitèrent me promettant fidélité et bravoure jusqu'au bout de cette campagne.

vendredi 5 juin 2009

Récit d'un hussard (10 et 11)

Toujours pas de nouvelles de notre modem. Cela fait trois semaines que nous attendons. Y-a-t-il parmi vous quelqu'un qui travaille chez Alice qui serait capable de m'expliquer comment fonctionne l'entreprise. çà m'aiderait. et surtout comment savoir où se trouve notre modem puisqu'il parait qu'il est en route. il doit arriver à dos d'âne du fin fond de la Chine.


LA GRANDE ARMEE


La première fois que ce terme fut employé, ce fut l'empereur lui-même qui le fit à Boulogne sur mer, alors qu'il était encore question d'envahir l'Angleterre, en 1804. Il voulait rendre hommage à chacun de ses soldats qui enduraient la douleur, la souffrance, mais qui combattaient avec force et portait haut les couleurs de la nation.

Profitant des informations contradictoires que l'empereur fit transmettre à l'ennemi, nous passâmes le Rhin, alors que le général Ney affrontait l'ennemi et que les généraux Bernadotte et Soult contournaient les Autrichiens pour les empêcher de battre en retraite. Le général Mack, commandant en chef des troupes de la coalition, dut se replier vers Ulm après avoir subi de lourdes pertes à la bataille d'Elchingen. Il espérait y attendre le renfort des armées du général russe Koutousov. Mais, ce dernier, mal renseigné, croyait notre armée encore à Boulogne et, de ce fait, ne se pressait pas pour arriver. Mal lui en prit. En effet le siège de la ville ne dura pas longtemps. Dès que l'état-major aperçut les forces que nous déployâmes autour de lui, il préféra capituler et ceux qui essayèrent de s'enfuir furent poursuivis par les régiments du général Murat et stoppés dans leur fuite.

Le soir même, le camp fêtait cette nouvelle victoire. Nous étions devenus des soldats de l'Empire et non plus de la République, mais la ferveur était la même. Tous nous reconnaissions en Napoléon 1er un très grand chef militaire et nous étions prêts à le suivre aussi longtemps et aussi loin qu'il nous le demanderait.

Peu à peu s'élevait des bivouacs une chanson que quelques soldats avaient imaginée après la victoire:

" Micmac, nous avons pris le général Mack comme une prise de tabac ". Chacun s'amusait de l'ironie. Nous étions soulagés, la bataille passée, d'être toujours vivants et de ne pas avoir dû ferrailler de trop face aux armées autrichiennes. Nous savions que l'empereur allait continuer sa marche en avant et serrant dans ma main le médaillon de mon aimée, je priai que les jours futurs soient comme celui-ci.

Notre avancée nous porta jusqu'à Munich puis sur la route de Vienne où sous les ordres du maréchal Murat, nous fûmes chargés d'inspecter les abords de la ville autrichienne et d'informer l'état-major de son système de défense.

Très vite, nous nous rendîmes compte que Vienne n'était défendue que par les troupes austro-russes du général Koutouzov, soit quelques milliers d'hommes peu aguerris.

Du reste, peu sûrs de leurs forces, les coalisés envoyèrent le général Giulay vers l'empereur pour négocier un armistice. Napoléon fit répondre qu'il ne concevait une suspension des armes que si elle était suivie d'une négociation de paix.

En ramenant le général autrichien vers la ville, le maréchal Murat s'approcha de moi et me parla:" Capitaine, j'ai une mission à vous confier, quelque peu particulière. Accueillez avec vos hommes en votre bivouac ceux qui accompagnent le général. Essayez de les faire parler. Toute information que nous pourrions obtenir sur l'état de moral des villageois pourrait nous être fort utile". Mission bien particulière en effet.

Le soir même, la consigne étant passée, nous nous occupâmes de l'escorte. Avec Honoré Greff, nous nous chargeâmes du domestique du comte de Giulay. Il mangea et but au-delà de toute raison. La ville manquait de vivres depuis plusieurs jours et leurs repas étaient de plus en plus frugaux. Complètement euphorique, le domestique parla avec emphase :" comme il n'y avait pas assez de combattants, on voulut créer un corps municipal de cavalerie. L'appel concernait les hommes de la noblesse, les bourgeois et leurs fils, les fonctionnaires, les commerçants, les manufacturiers et même les rentiers. Et bien vous savez ? La plupart préférèrent quitter la ville plutôt que se préparer au combat."

Il but un nouveau godet et reprit: " Les objets précieux de la ville ont été évacués ainsi que les archives. Direction la Hongrie. Et vous ne savez pas le plus beau."

Nous fîmes les étonnés en remplissant une nouvelle fois son verre:" L'empereur, lui-même, voulut quitter Vienne. Il fallut que la garde bourgeoise le retienne et le séquestre en son palais. Ne croyez-vous pas cela misérable ? Seules l'impératrice et sa famille furent autorisées à s'enfuir.

Puis soudain, le domestique s'arrêta et tomba d'un coup dans un profond sommeil. Son réveil serait douloureux.

Les jours suivants, nous continuâmes notre progression vers la capitale autrichienne et, bientôt, nous campâmes tout près de la ville, du côté d'Hütteldorf.

Les avant-postes de la coalition reçurent l'ordre de ne pas se battre et l'armée austro-russe quitta la ville. Les Autrichiens vers les Alpes et les Russes reculèrent sur la rive gauche du Danube.

Nous étions prêts à rentrer dans la ville, d'autant qu'une délégation de villageois nous invitait à le faire en nous portant des chariots de nourritures malgré les privations, quand le maréchal Murat reçut une missive de l'empereur qui s'alarmait de le voir aller si vite. Il l'accusait même de ne voir que la gloire de rentrer dans la ville. Il ajouta qu'il n'y a de gloire que là où il y a du danger.

Le maréchal fut choqué par cette lettre venant de l'empereur, son cousin. Il se défendit en écrivant à son tour au général en chef, précisant qu'il marchait sur Vienne pour devancer les Russes qui, le savait-il, faisaient route vers la capitale autrichienne. Il voulait empêcher la jonction de la coalition et désirait forcer l'empereur d'Allemagne à signer toutes les conditions que Sa Majesté lui plairait de dicter. Il s'agissait seulement de cela et non pas de gloire.

Quelques jours plus tard, nous entrâmes dans la ville, accueillis par une population curieuse et inquiète. Nous nous dépêchâmes de traverser la cité pour atteindre le pont du Tabor qui menait vers l'autre rive du Danube. Nous le fîmes d'autant plus facilement que les Autrichiens qui avaient refusé de défendre leur ville, nous guidèrent dans les rues pour rejoindre le passage vers l'autre rive par le chemin le plus court. Plus particulièrement l'un d'entre eux, le général à la retraite Funk qui, sur son cheval, nous accompagna jusqu'au pont.

Bientôt, toute l'armée traversa la ville et les maréchaux Lannes et Murat usèrent d'un stratagème pour prendre possession du pont. Ils firent croire aux troupes russes qu'un armistice était signé entre l'empereur d'Allemagne et Napoléon et qu'entre autres choses les ponts devaient être remis aux Français et non pas brûlés comme il avait été auparavant décidé. Les Russes hésitèrent puis finir par se retirer au-delà du pont laissant les voies d'accès à la ville en notre possession.

Nous contrôlions la cité et nous attendions l'empereur à la tête de ses troupes pour le lendemain.

Il arriva peu souriant. Il venait d'apprendre la déroute de la marine française à la bataille de Trafalgar, au lendemain de la bataille d'Ulm, de plus, il n'était pas satisfait du comportement de Bernadotte qui lui fit perdre, dit-il, une journée. La réunion d'état-major qui eut lieu au palais de Schönbrunn fut, nous en eûmes quelques échos, particulièrement sérieuse. Malgré tout, l'empereur félicita ses maréchaux et son différent avec Murat fut oublié.

Laissant la garde de la ville aux troupes hollandaises, "la grande armée" partit vers la Moravie à la poursuite du général Koutouzov. Nous devions empêcher la jonction entre les troupes du général russe et les renforts qui venaient de Pologne. Nous apprîmes aussi que les Autrichiens commandés par Buxhoeweden faisaient route vers nous. La prochaine bataille où elle ait lieu s'annonçait déterminante.

Les armées des maréchaux Murat et Soult ainsi que la garde impériale avaient pour mission de couper la route au général Koutouzov et éviter ainsi la jonction avec l'armée de Pologne.

Nous rejoignîmes le général russe à Hollabrun où l'état-major ennemi plutôt que de se battre proposa une suspension d'armes au maréchal Murat et à notre grande surprise celui-ci accepta. Tel n'était pas les ordres et cette initiative aurait pu avoir des conséquences dramatiques.

En effet, profitant de ce répit, le général Koutouzov rejoignit les troupes de Pologne. La réaction de l'empereur ne se fit pas attendre. Il envoya une lettre au maréchal Murat, lettre que je pus lire quand il fallut réagir aux ordres de Napoléon Bonaparte. Il écrivait:

" Il m'est impossible de trouver les mots pour vous exprimer mon mécontentement. Vous ne commandez que mon avant-garde et vous n'avez pas le droit de faire armistice sans mon ordre. Vous me faites perdre le fruit d'une campagne. Rompez l'armistice sur-le-champ et marchez sur l'ennemi. L'aide de camp de l'empereur de Russie est un polisson; les officiers ne sont rien quand ils n'ont pas de pouvoirs; celui-ci n'en avait point. Les Autrichiens se sont laissés joués pour le passage du pont de Vienne, vous vous laissez jouer par un aide de camp de l'empereur, je ne conçois pas comment vous vous êtes laissé jouer à ce point."

En nous lisant cette lettre, officiers de son armée, le maréchal Murat semblait abattu et malgré tout très en colère. Il ne dit qu'une phrase:" allons, il faut continuer!"

Nous ne pûmes attaquer que l'arrière-garde, le gros de la troupe avait rejoint les renforts et filait loin devant nous.

Le 19 novembre, nous entrâmes dans Brno où nous trouvâmes un butin considérable. Mais, dorénavant, il n'était plus possible d'espérer attaquer séparément les deux armées.

Le maréchal Soult avançait vers Austerlitz, nous le suivions à une journée et l'armée de l'empereur accélérait encore sa marche pour rejoindre ce point stratégique le plus rapidement possible.

Plus tard, le lieutenant Putigny, ami d'Honoré, nous raconta cette marche:" nous reprenions nos forces à Laxenburg, mais nous dûmes dès l'aube du 30 novembre repartir. Cette marche fut l'une des plus dures que l'empereur exigea de nous. On disait, souvent, que Napoléon 1er gagnait ses batailles plus avec nos jambes qu'avec nos fusils, mais là... Imagine, nous avons parcouru 36 lieues en 36 heures. Nous marchions sans halte. Je portais le drapeau. Sa hampe penchait toujours plus en arrière, me causant une douleur à l'épaule, tandis que la colonne s'allongeait. J'allais comme un automate, sans penser. Je fixais machinalement devant moi les traces du cheval de mon capitaine. Sa croupe montait et descendait. Je me laissais porter par ce rythme."

La marche fut éprouvante et pourtant ils étaient prêts à livrer bataille là où notre empereur décida qu'elle se déroulerait : à Austerlitz.


AUSTERLITZ

Une immense plaine dominée d'un côté par un haut plateau; le plateau de Pratzen et prolongée de l'autre côté par des marais. En ce début décembre 1805, le froid était intense. Le sol était glacé et les étangs gelés, on pouvait les traverser à pied de part en part tant la glace était épaisse.

Au matin du 1er décembre, l'empereur décida de mettre en place sa stratégie pour la bataille. Pour cela, il monta sur le plateau de Pratzen et invita tous les officiers de son armée à le suivre. Une fois que nous étions là-haut, l'empereur regarda la plaine qui s'étalait devant nous et sourit. Enfin, il nous parla:" si je voulais empêcher l'ennemi de passer, c'est sur ces hauteurs que je me placerais. Mais alors, je n'aurais qu'une bataille ordinaire. Si, au contraire, je me place en retrait de ce plateau, l'ennemi viendra s'y installer. Et si j'affaiblis ma droite, il tentera d'enfoncer mes lignes de ce côté, espérant couper mon armée en deux. Alors, à ce moment-là, nous attaquerons le plateau, surprenant l'ennemi. Celui-ci, de fait, verra ses troupes encerclées, il ne restera plus qu'à resserrer le filet pour obtenir une magistrale victoire."

L'empereur se tut, le regard toujours fixé sur cette plaine comme s'il visualisait cette bataille. Enfin, il nous fit face et il ajouta:" redescendons, messieurs, allons parler à nos troupes."

Cela dit, il s'engagea sur le chemin menant à la plaine, son sourire toujours affiché sur son visage.

Une fois en bas, il fit réunir son armée autour de lui et parla de sa voix claire et forte:" Soldats, demain l'armée russe se présentera devant vous pour venger l'armée autrichienne vaincue à Ulm. Ce sont ces mêmes bataillons que vous avez battus à Olla Brunn et que depuis, vous avez constamment, poursuivis jusqu'ici. Les positions que nous occupons sont formidables et pendant qu'ils marcheront pour couper ma droite, ils me présenteront le flanc.

Soldats, je dirigerai moi-même, tous nos bataillons. Je me tiendrai loin du feu si, avec votre bravoure, vous portez le désordre et la confusion dans les rangs ennemis, mais si la victoire était un moment incertaine, vous verriez votre empereur s'exposer aux premiers coups, car la victoire ne saurait hésiter en cette journée surtout où il y va de l'honneur de l'infanterie française qui importe tant à l'honneur de la nation".

Que, sous prétexte d'emmener les blessés, on ne dégarnisse pas les rangs et que chacun soit bien pénétré dans cette pensée, qu'il faut vaincre ces stipendiés de l'Angleterre qui sont animés d'une si grande haine contre notre nation.

Cette victoire finira notre campagne et nous pourrons reprendre nos quartiers d'hiver, où nous serons joints par les nouvelles armées qui se forment en France; et alors la paix que je ferai sera digne de mon peuple, de vous et de moi.

Soldats réchauffez-vous en vos bivouacs, assurez-vous de vos armes, demain sera une journée à la gloire de la Nation et de son armée."

L'ovation qui suivit le discours de notre chef dura plusieurs minutes et malgré le froid si vif, les mots de l'empereur, une fois encore, nous avez réchauffés le coeur.
La nuit s'achevait. Le sommeil fut difficile à trouver tant le froid nous envahissait et nous cinglait à travers nos vêtements et nos couvertures. Pourtant un peu avant le lever du jour chacun se préparait pour cette journée qui s'annonçait si primordiale pour la nation. Je vérifiais une nouvelle fois que le portrait de mon aimée était bien suspendu à ma poitrine, puis en compagnie d'Honoré Greff, j'allai m'occuper de ma monture.

2 décembre, 7 heures du matin, l'armée prit ses positions en arrière du plateau de Pratzen comme l'avait décidé l'empereur. La plaine était dans un brouillard intense. Il nous serait difficile d'apercevoir l'ennemi avant qu'il ne soit sur nous, mais çà sera de même pour lui. À nous de profiter de cette circonstance. Là-bas, sur la butte de Schlapanitz, j'apercevais l'empereur sur son cheval entouré des maréchaux; il attendait. Nous attendions tous. Les Russes allaient-ils tomber dans le piège? L'issue de la bataille en dépendait.

Notre régiment au coeur de l'armée du prince Murat était positionné sur le flanc gauche du dispositif. Le flanc droit commandé par le maréchal Davout devrait subir les premières charges ennemies.

En effet les premières percées du soleil nous dévoilèrent le plateau où s'étaient installées les troupes russes. Celles-ci faisant marche à présent vers les troupes de Davout, dégarnissant le plateau. Notre empereur avait vu juste, l'ennemi s'était laissé berner.

À partir de là tout alla très vite. Il nous fut demandé d'attaquer les régiments du général Bragation et de les repousser le plus loin possible. Pendant ce temps, au centre, l'armée du maréchal prendrait position sur le plateau de Pratzen abandonné par les Russes et porterait secours aux troupes de Davout en encerclant les forces russes.

Nous montâmes à l'assaut des troupes austro-russes qui furent surprises de nous voir surgir du brouillard tout près d'elles. Notre charge fut soudaine. Les fantassins ennemis n'eurent pas le temps de se dégager que déjà nous sabrions à tour de bras permettant à notre infanterie d'avancer au pas rapide sur des soldats apeurés et désorganisés qui n'eurent que la ressource de s'enfuir pour éviter d'être tués sans combattre.

Alors que tout semblait perdu, la cavalerie russe surgit devant nous et stoppa notre élan. Nous dûmes ferrailler ferme pour maintenir notre position tant la charge ennemie fut forte. Combien de temps dura cet affrontement? Je n'en savais rien. Déjà beaucoup d'hommes étaient morts au corps à corps. Parmi eux un grand nombre de noms de la noblesse russes entraînés par le prince Repnin. Au milieu du combat, alors que nous commencions à prendre le dessus, les cavaliers ennemis rompirent le combat nous laissant la plaine comme trophée. Cette manoeuvre malgré tout permit à l'infanterie du général Bragation de se retirer en ordre vers le village d'Austerlitz.

Vers midi, la victoire était assurée. Les troupes russes encerclées par nos deux armées ne pouvaient que mourir en combattant, se rendre ou essayer de s'enfuir par les marais gelés, mais la glace rompant, bon nombre de soldats moururent noyés ou saisis par le froid.

Il nous fut demandé de poursuivre l'ennemi et ainsi, jusqu'à la tombée du jour, vers 17 heures, nous débusquâmes les soldats autrichiens ce qui nous permit de faire un grand nombre de prisonniers.

La victoire, en fin de journée, était éclatante et la coalition était décimée. L'empereur avait gagné son pari. Notre nation étendait sa puissance sur une grande partie de l'Europe.

" Vive la Nation ! Vive l'Empereur!" exultèrent les soldats quand Napoléon Bonaparte vint près d'eux pour les féliciter.

" Soldats! Commença-t-il, je suis fier de vous. Vous avez à la journée d'Austerlitz justifié tout ce que j'attendais de votre intrépidité; vous avez décoré vos aigles d'une immortelle gloire. Une armée de 100 000 hommes, commandée par les empereurs d'Autriche et de Russie, a été en moins de quatre heures ou coupée ou dispersée. Ce qui a échappé à vos fers s'est noyé dans les lacs. Quarante drapeaux, les étendards de la garde impériale de Russie, cent vingt pièces de canon, vingt généraux, plus de trente mille prisonniers, sont le résultat de cette journée à jamais célèbre. Vous n'avez plus de rivaux à redouter. Ainsi en deux mois, cette troisième coalition a été vaincue et dissoute. La paix ne peut plus être éloignée.

Soldats, quand le peuple français plaça sur ma tête cette couronne impériale, je me confiai à vous pour la maintenir toujours dans ce haut éclat de gloire qui seul pouvait lui donner du prix à mes yeux. Mais dans le même moment, nos ennemis pensaient la détruire et l'avilir. En ce jour d'anniversaire du couronnement de votre empereur, vous les avez anéantis et confondus.

Soldats, lorsque tout ce qui est nécessaire pour assurer le bonheur et la prospérité de notre patrie sera accompli; je vous ramènerai en France; là vous serez l'objet de mes plus tendres sollicitudes. Mon peuple vous recevra avec joie et il suffira de dire, "j'étais à la bataille d'Austerlitz pour que l'on réponde, " voila un brave".

La gloire était sur nous. Si peu de pertes et tant de fatigue et de meurtrissures. Mais la nation était sauvée et notre coeur remplit d'une félicité à hauteur des plus grandes émotions de la vie d'un homme. Cette nuit-là nous parut presque douce et paisible.

vendredi 29 mai 2009

Récit d'un hussard (8 et 9)

Privé de modem depuis quinze jours( merci Alice), je poursuis mon récit par une voie détournée, en espèrant retrouver internet très vite. Suivent deux chapitres .


MARENGO


Nous devions rejoindre Dijon où nous serions momentanément casernés avant de retrouver les terrains d'opération.

Partis de Paris en toute fin du mois d'avril, nous cheminions vers l'est. Le temps était beau et les parfums du printemps nous accompagnaient sur la route.

Malgré mon grade de capitaine, j'avais été nommé commandant de corps. Nous manquions d'officiers supérieurs et de fait, nous étions quelques simples officiers nommés à de telles responsabilités. Le 1er hussard, fort de 120 hommes, était sous mon commandement. Si j'en éprouvais une grande fierté, je ressentais aussi une appréhension réelle. Saurais-je commander ces hommes que je connaissais bien et dont la rudesse ne masquait pas une fidélité totale à leur corps d'armée ?

Heureusement Honoré Greff était à mes côtés et son soutien m'était ma plus grande assurance. N'avait-il pas promis à Angélique qu'il me protégerait ?

Nous devisions de la situation de notre pays et de notre armée. Malgré les nouvelles peu optimistes qui venaient d'Italie, nous avions confiance en notre général en chef. Il s'était encore couvert de gloire en Égypte et en décidant de s'imposer politiquement à la Nation, nous pensions qu'il était certainement celui qui pourrait sortir notre pays de ces guerres incessantes.

Nous ne croyions pas qu'il n'ait fait que participer au coup d'éclat du 18 brumaire. Nous pensions qu'il en était l'instigateur avec son frère Lucien, président des cinq-cents et que les deux autres consuls, Sieyès et Ducos, ne servirent que de cautions politiques.

Arrivés à Dijon, nous apprîmes que le général Masséna avec son armée était assiégé dans Gênes par les Autrichiens. De plus, les soldats français devaient faire face à la famine imposée par le blocus et aux épidémies. Nous ne savions pas combien de temps encore le glorieux général allait pouvoir tenir. Le général Moreau, de son côté, qui devait faire diversion pour dégager le général Masséna, ne progressait pas suffisamment vite. Notre général en chef, devant cette situation mal engagée, prit les décisions, comme à son habitude, les plus radicales. Il décida que nous passerions en Italie par le chemin le plus court; le col du Grand-Saint-Bernard. Passage périlleux, d'autant que l'hiver n'était pas fini là-haut et que nous allions devoir progresser dans la neige. Mais rien n'arrêtait le premier consul. Il avait fait venir auprès de lui le général du génie Marescot, chargé de la reconnaissance des Alpes et lui avait demandé:

- Par où pouvons-nous passer?

- Le Saint Bernard semble le plus approprié..Mais l'opération sera difficile

- Difficile, dites-vous général, mais est-ce possible ?

- Je le crois. Avec des efforts extraordinaires.

- Alors, partons!

Ainsi, fut fait et nous prîmes la direction du col des Alpes, non sans appréhension devant la difficulté de la route.

L'aventure promettait d'être insensée. Arrivés au pied du col, nous comprîmes la difficulté que nous aurions pour faire passer les pièces d'artillerie sur l'autre versant. La route était à peine carrossable et la pente bien raide. Les fantassins s'engagèrent se couvrant de leurs manteaux, la température avait baissé d'un coup et le froid nous cinglait le visage. Nous les suivîmes, essayant de ménager nos montures autant que cela se pouvait tant la route devenait glissante et périlleuse. Quant à l'artillerie lourde, le problème restait entier. On promit aux paysans des villages avoisinants, mille francs par pièce de canon transportée au sommet. Mais après quelques jours d'efforts et si peu de résultats, il fallait plusieurs dizaines d'hommes pour faire passer une seule pièce en deux jours, les paysans épuisés, abandonnèrent le travail. Alors, les artilleurs, refusant toute gratitude financière, décidèrent de se charger eux-mêmes de l'opération. Leur officier affirmant qu'il était de leur honneur de sauver leurs canons.

Loin devant, nous progressions. Nous longions le cours de la Doria et la route devenait moins périlleuse. Devant nous, la vallée s'élargissait et nous pensions avoir accompli le plus difficile. Mais notre soulagement fut de courte durée, l'armée dut stopper sa progression. Les éclaireurs vinrent prévenir nos chefs que nous allions aborder un défilé étroit, surmonté par le fort de Bard et qu'il nous serait difficile de passer, non seulement sans subir de lourdes pertes, mais aussi sans prévenir l'ennemi de notre progression. Car jusque-là, Bonaparte avait réussi à tromper les espions autrichiens en faisant croire que seuls quelques renforts s'étaient engagés dans le col pour porter secours au général Masséna toujours enfermé dans Génes. Le premier consul, en éparpillant les rassemblements de troupes sur tout le flanc Est de la France et ne les faisant converger tous vers le col qu'au tout dernier moment, avait leurré les Autrichiens et leur haut commandement croyait même que Bonaparte, lui-même, était resté à Paris pour faire face à une rébellion. Le piège avait fonctionné à merveille, alors que notre premier consul était là près de nous à Martigny d'où il reçut les informations concernant l'arrêt de notre progression.

Alors, avec son état-major, il étudia les cartes et découvrit d'autres voies possibles pour passer les Alpes et éviter ce défilé.

Ordre nous fut donné de nous diviser et de prendre des sentiers séparés qui se réunissaient, plus loin, au-delà, du fort de Bard. Le général en chef prit aussi la décision de laisser sur place toutes les pièces d'artillerie qui ne pouvaient passer et qui allaient retarder notre avancée. Il affirma, parait-il, à ses officiers que nous n'aurions plus qu'à prendre celles des Autrichiens dès notre premier affrontement.

Puis, il s'engagea, à son tour, dans le col, à dos d'un mulet conduit par un guide du pays et qui avait confirmé la possibilité de rejoindre l'Italie par d'autres voies, en particulier, celle d'Albaredo.

Bonaparte fit savoir au commandant de l'artillerie et revenant ainsi sur sa première décision, d'essayer, malgré tout, de faire passer ses pièces sous le fort de Brad. De trouver le moyen d'éviter d'attirer l'attention des Autrichiens. D'abandonner son matériel seulement si le passage était impossible.

Ainsi, fut fait. Tandis que de l'autre rive, nous progressions, à la vue dépitée des soldats ennemis positionnés dans le fort, notre artillerie, après avoir couvert la route de fumier et de paille et disposé des étoupes autour des pièces, passait en dessous de ces mêmes soldats dans un silence absolu.

Nous nous retrouvâmes bientôt à Saint-Rémy. Nous avions passé les Alpes et nous tenions prêts à dévaler vers les positions autrichiennes.

Au bivouac, Honoré Greff retrouva son pays, Perrier, l'artilleur, qui nous raconta cette épopée à travers les cols alpins :

- Tu vois, j'ai fait la campagne d'Égypte, là-bas, c'était tout plaines, ici, c'est tout montagnes. Qu'importe, on ne connaît qu'un mot d'ordre: " En avant!" Et plaines ou montagnes, c'est tout pareil, il suffit de vouloir. Il paraît qu'un certain Hannibal était passé là avec des éléphants, on n'allait pas rester derrière avec nos canons. Je ne sais pas comment on a fait, mais on est passé.

Le brave Perrier méritait tout comme ses frères d'armes, un bon repos, car bientôt, il allait falloir nous engager.

Le Lieutenant-Général Lannes qui commandait l'avant-garde avait ouvert la voie de Turin et attiré vers lui les troupes ennemies, persuadées que la ville était l'objectif de notre général en chef. En fait, celui-ci visait Milan et espérait bien y entrer par surprise.

Ce jour, le 23 mai, je fus convoqué par le Lieutenant-Général Murat, le commandant en chef de la cavalerie. Auprès de lui se trouvait le général de division Berthier ainsi que les généraux Kellermann, Champeaux et Rivaud, ils m'apprirent que le général Masséna tenait toujours tête aux assaillants autrichiens, mais qu'il était au bord de l'agonie. La moitié de ses soldats étaient morts et les vivres manquaient. Nous devions absolument traverser le Pô avant sa capitulation, avant l'arrivée des troupes du maréchal Mélas. Murat me fit savoir que le 1er Hussard avait été choisi pour installer une première ligne offensive de l'autre côté du fleuve. Il nous était demandé de prendre le pont qui gardait la ville de Plaisance et de le tenir jusqu'à l'arrivée des troupes. Le général Moncey, de son côté, après avoir franchi le Saint-Ghotard, filait vers Milan où il attendrait le général Bonaparte. Nous devions ouvrir la voie à toute la cavalerie, le reste de l'armée traverserait le Pô à Stradella.

En sortant de la tente du Lieutenant-Général, j'avais l'impression de me retrouver quelques années auparavant où il m'avait été demandé, déjà, de tenir un pont.

Je rassemblai mes hommes et leur fit part de notre mission. Avoir été choisi pour mener cette offensive les rendit fiers. Ils redressèrent la tête et d'un seul cri glorifièrent la patrie et le premier consul.

La nuit était froide. Près du feu, j'essayai de me concentrer sur cette mission, me remémorer les lieux autour de Plaisance. Mais je ne pouvais pas libérer mon esprit de l'image de ma tendre épouse. Je sortis de dessous mon uniforme ce médaillon que j'avais autour du cou. J'en actionnai le fermoir et fit apparaître son visage si fin, si radieux. Pour la première fois, je me demandai si je la reverrais. Je prenais conscience que ma vie ne tenait à pas grand-chose ; une dose de chance certainement. Perdu dans mes pensées, je n'entendis pas Honoré s'approchait de moi. Il posa sa main sur la mienne, m'aidant à refermer le médaillon et me dit:" Ne t'inquiète pas. Votre amour te protégera." Nous restâmes un moment silencieux puis mon ami me demanda ce que je comptais faire. Je regardai le ciel et apercevant la lune qui illuminait notre campement me vint une certitude. " Je pense que nous devons partir avant le lever du jour. Regarde, la lune nous guidera. Nous devrons nous approcher du pont avant que le soleil n'apparaisse et attaquer par surprise. Quelles que soient les forces que nous trouverons en face de nous, nous aurons plus de chances de les vaincre ainsi. Greff me regarda et me sourit:" alors nous devons nous mettre en route, le jour n'est plus très loin. Je vais réveiller les gars." Il me laissa et je pensai que nous avions déjà combattu à Plaisance trois ans auparavant, c'était un avantage. Nous avions alors ouvert la voie vers Lodi, étape obligée qui nous mena quelques mois plus tard à Milan. Dire que nous avions reperdu toutes ces places fortes en un an alors que le général Bonaparte guerroyait en Égypte. Le combat, demain, serait rude. L'état-major ne m'avait pas caché que les forces ennemies seraient, peut-être, plus importantes que nous. Aussi, il m'avait recommandé de nous en tenir au pont et de ne pas nous aventurer trop loin sur l'autre rive. Je me redressai d'un coup et portai ma main sur mon coeur. Je sentis le médaillon sous mes doigts et ainsi, assuré que rien ne pourrait m'arriver, j'allais rejoindre mon escadron qui se préparait déjà à partir.

Nous nous éloignâmes du camp le plus silencieusement possible. Les soldats de garde nous regardèrent passer sans un mot. Leurs regards en disaient plus que le moindre mot d'encouragement.

Nous chevauchâmes prudemment tout le long de la route. La lune nous offrait la lueur suffisante pour progresser sans heurts. Nous nous approchions du Pô et pouvions déjà, entendre son grondement et, très vite, la fraîcheur qui émanait de ses eaux.

Accroupis, à l'orée d'un bois, nous observions le pont que nous devions reprendre. Deux feux de camp nous indiquaient la présence de troupes ennemies, mais nous pouvions difficilement les repérer, malgré l'éclairage de la lune. Il n'y avait pas de bruit, les hommes devaient dormir. Seuls, quelques soldats parlaient près des feux et d'autres patrouillaient aux abords du pont. Une quinzaine d'hommes tout au plus. Nous devions attendre les premières lueurs du matin pour nous faire une idée des forces présentes. Attaquer maintenant sans repère me semblait suicidaire. Le ciel pâlissait lentement là bas derrière nous, une petite heure et nous serions fixés sur nos chances de réussite.

Plusieurs fois durant cette attente, je portai ma main sur mon coeur et sentis le médaillon d'Angélique. Se mêlaient en moi, l'excitation face au combat imminent et la tristesse d'être loin de mon aimée.

La brume du petit matin faisait comme un voilage léger qui semblait s'élever au-dessus du fleuve. Maintenant, à travers les volutes émanant des eaux froides du Pô, nous pouvions observer les positions ennemies. Le campement nous apparut dans son ensemble. Il devait y avoir un peu plus d'une centaine de soldats, guère plus que nous. Deux canons seulement. La situation n'était pas mauvaise. Il nous faudrait surgir brutalement du bois où nous nous cachions pour que la longue chevauchée sur le pont ne nous mette pas en danger. Seul cet effet de surprise nous permettait de réussir notre entreprise. Et nous devions agir sans tarder, profiter du désordre dans les rangs autrichiens. Nous n'aurons pas beaucoup de temps pour prendre le dessus sur eux et les forcer à se rendre.

Je rassemblai mes hommes autour de moi et leur dis que seul le passage par le pont était possible. Le Pô était trop profond et trop remuant pour espérer le traverser à gué et contourner l'ennemi. Attaquer par un seul axe et de front, allait rendre notre offensive périlleuse et certainement mortelle pour certains d'entre nous, mais nous pouvions compter sur l'effet de surprise pour accomplir notre mission et ainsi permettre aux troupes de la Nation de progresser au-delà du fleuve et mettre à mal la nouvelle coalition qui se dressait devant nous.

En silence, nous nous encourageâmes, puis montâmes à cheval et nous disposâmes dans l'axe du pont. Sur l'autre rive, les soldats autrichiens se réveillaient lentement et s'affairaient sans se douter de ce qui les attendait. Il était temps de leur faire connaître notre présence. Je levai mon sabre et dis à voix haute : " Messieurs, pour la Nation !" Je pointai mon sabre vers l'ennemi et d'un coup d'étrier fis démarrer ma monture au galop. Je sentis le souffle des chevaux de mes hommes autour de moi et c'est ainsi que nous débouchâmes du bois et entrâmes sur le pont dans un bruit assourdissant des sabots et de nos cris mêlés.

Les Autrichiens furent pris de panique. Ils couraient dans tous les sens, à demi nus ou finissant de se vêtir en catastrophe en se jetant sur leurs armes. Seuls, ceux de garde essayèrent de se positionner à l'autre bout du pont, leurs armes pointées vers nous. Leur salve ne nous arrêta pas. J'entendis seulement le cri de quelques-uns de mes hommes touchés puis le bruit sourd de leur chute sur le pont.

Nous étions déjà arrivés sur l'autre rive. Et avant que les fantassins ennemis aient le temps de recharger, nous étions sur eux et les sabrions sans ménagement. Puis nous occupâmes le camp, allant de toutes parts, poursuivant ces soldats qui s'éparpillaient dans un désordre inimaginable. Certains, malgré tout, essayaient de résister, attrapant une baïonnette ou un sabre, ils se mettaient face à nous. Mais la puissance de nos chevaux et la hargne qui nous habitait les expédièrent ad patres sans retenue. À bout d'épuisement et de courage, l'ennemi se rendit, alors que certains de mes hussards poursuivirent ceux qui voulaient s'échapper vers l'arrière et prévenir l'armée ennemie de notre offensive. Le succès était total. Nous avions près de cent prisonniers et deux canons à notre disposition. Le sol était jonché de corps morts ou mourants. J'autorisai l'ennemi à les soigner alors que j'envoyai l'un de mes hommes à la rencontre de nos troupes pour leur annoncer la réussite de notre mission. Je fis soigner nos blessés, peu nombreux et je ne dus déplorer que cinq morts dans mon unité. J'étais soulagé. Honoré Greff vint vers moi et me félicita en me disant :

"Surtout garde ce médaillon sur toi, il est notre porte-bonheur."

Trois heures plus tard, alors que j'avais organisé le campement de façon à faire face à une éventuelle contre-offensive autrichienne, les premières unités de notre armée arrivèrent et traversèrent le pont. Le bruit des sabots des chevaux trottant sur le pont semblait être un orage sans fin. Une menace inquiétante pour les troupes autrichiennes qui durent entendre ce roulement au-delà des forêts et des plaines.

Le lieutenant-général Murat vint à ma rencontre et me félicita pour la réussite de notre entreprise:

- Maintenant le général en chef peut rejoindre Milan, rien ni personne ne pourra l'en empêcher. Et ceci en partie grâce à vous. Je vous félicite capitaine. Je savais vos hussards courageux, ils ont démontré aujourd'hui leur habileté et leur fidélité.

Le général Bonaparte était dans Milan, quand nous apprîmes la capitulation du général Masséna. Il perdit la moitié de ses hommes et les trois quarts de ses officiers, mais il put sortir librement de la ville de Gênes avec ce qui restait de son armée, déjà décidé à reprendre le combat et à faire payer aux Autrichiens les journées qu'il venait de passer. Pendant ce temps-là, le général Lannes avait atteint le défilé de la Stradella. Ainsi, tous les passages du Pô étaient gardés de Pavie à Plaisance et le général Ott qui essaya de les forcer fut repoussé sur la Bormida. Nous avions en peu de temps repris une partie des places fortes que nous avions conquise lors de la précédente campagne.

Le général Bonaparte vint nous rejoindre aux abords de Plaisance, persuadé d'y trouver l'armée de Mélas.

Le général Desaix qui venait de rentrer d'Égypte vint rejoindre nos troupes en Italie. Aussitôt, le premier consul lui donna une division et lui ordonna de partir en avant-garde vers Rivalta et, éventuellement, couper la route à l'ennemi s'il se dirigeait vers Gènes.

Pendant ce temps, notre général en chef décida de se rendre à Castel-Nuovo et demanda au 1er hussard de battre la plaine de Marengo et d'y débusquer l'ennemi.

Nous partîmes en direction de l'immense plaine qui nous faisait face. Nous savions que nous n'aurions peu d'endroits où surprendre les Autrichiens tant la plaine était ouverte avec seulement quelques bosquets de-ci de-là.

Très vite, en progressant prudemment, nous nous aperçûmes qu'il n'y avait pas le moindre casque ennemi dans ce lieu. Nous poussâmes jusqu'à San-Giuliano où nous constatâmes l'absence totale de soldats autrichiens. Je décidai de rejoindre l'armée de Bonaparte et de lui rendre compte de ce que nous avions vu ou plutôt de ce que nous n'avions pas vu.

Le premier consul semblait perplexe après avoir entendu mon rapport. Il décida que nous progresserions jusqu'au village de Marengo.

Le village n'offrit que peu de résistance. Les avant-postes ennemis qui s'y trouvaient furent repoussés sur la Bormida.

Le général Bonaparte fit poursuivre ces soldats au-delà de la rivière et demanda à ce que soient détruits les ponts qui l'enjambaient.

Nous passâmes la nuit aux abords du village et dans la plaine. Les troupes étaient inquiètes. Pour la première fois, notre chef des armées semblait hésiter et ne pas savoir où se trouvaient les forces ennemies rajoutait un peu plus de crainte dans les esprits de ces hommes qui avaient vécu tant d'aventures et de batailles victorieuses, mais aussi tant de souffrances et de pertes, qu'on sentait la lassitude chez beaucoup d'entre eux. Mais dès le lendemain, le 14 juin, les interrogations et les craintes de la veille furent balayées. Au lever du jour, les Autrichiens firent irruption et nous attaquèrent.

Jamais une bataille ne fut si mal préparée. Nous étions mal réveillés, désorganisés qu'il nous fallût faire face aux premières attaques ennemies. Nous vîmes, impuissants, notre artillerie se faire décimer en quelques minutes par celle, puissante et nombreuse, de l'ennemi. Beaucoup de nos pièces étaient restées bloquées dans les montagnes.

Les premières charges autrichiennes mirent à mal notre infanterie et particulièrement la division du général Gardanne qui dut se retirer vers le village de Marengo, bien décidée à le garder aussi longtemps que possible. De partout nous subissions des pertes. L'artillerie ennemie sans opposition décimait nos rangs. La bataille était mal engagée et, avec mes hommes, je trépignais d'impatience. Qu'attendait-on pour nous lancer dans la mêlée et secourir nos pauvres fantassins?

A cet instant, le général Bonaparte me fit venir auprès de lui et me demanda de choisir parmi mes hommes, un messager qui irait à la rencontre du général Desaix et lui demander de revenir au plus vite." Je croyais attaquer l'ennemi, il m'a prévenu. Revenez, au nom de Dieu, si vous le pouvez encore! Telles furent les paroles que ce messager devait transmettre au général Desaix. Puis le général Bonaparte s'adressa au général Murat. " Engagez votre cavalerie, général, et réduisait au silence celle de l'ennemie".

Nous y étions enfin. Nous allions nous ruer sur ces cavaliers autrichiens qui tuaient nos fantassins. Ceux-ci, ivres de courage, résistaient toujours aux charges autrichiennes en cédant peu de terrain. Il était temps pour nous, maintenant, de les protéger.

Nous étions en début de l'après-midi, la bataille avait commencé au lever du jour, et pourtant, si nos troupes faiblissaient, rien n'était perdu. La plaine était jonchée de corps ensanglantés, mais nous tenions nos positions et le village de Marengo résistait toujours. Nous fonçâmes vers les cavaliers ennemis qui furent bien surpris de nous voir surgir devant eux. La rage qui nous habitait, nous rendit encore plus féroces et nous sabrâmes autour de nous sans retenue, désarçonnant l'adversaire et laissant les fantassins finir le travail. Mon bras me faisait mal à force de frapper, mais mon unité progressait dans les rangs de la cavalerie ennemie qui finit par abandonner le terrain. Plus loin, j'apercevais les brigades du général Kellermann, digne fils du vainqueur de Valmy, et celle du général Champeaux, qui devait soutenir les troupes du général Lannes, en proie à des combats âpres et rudes avec les cavaliers ennemis. Je haranguais mes hommes et les poussais à me suivre au soutien des autres brigades. Nous arrivâmes auprès de la brigade du général Champeaux qui était encerclée par divers escadrons ennemis. Notre intervention soudaine mit le désordre dans les lignes ennemies. Le général put se dégager et contre attaquer la cavalerie autrichienne. Nous progressions à nouveau lorsque le général tout proche de moi reçut un coup de sabre sur la poitrine. Je le vis chanceler et tomber de son cheval alors que son agresseur était déjà transperçait par une baïonnette d'un des fantassins qui nous entouraient.

Le général était mort et ses troupes passant sous le commandement du chef de brigade Millet continuaient le combat, bien décidées à venger leur chef.

La mêlée était furieuse. Tant de morts autour de nous. Tant de cris et de hurlements, il était impossible de savoir qui prenait le dessus. Nous combattions farouchement autant que nos forces nous le permettraient. Honoré Greff toujours à mes côtés comme mon ange protecteur sabrait tout en gardant un oeil sur moi. Nous étions dégoulinant, sanglants, harassés et pourtant nous continuions. Soudain, surgissant de cette multitude, un jeune officier m'interpella:

" Capitaine! Le général Rivaux vous demande de rompre le combat et de vous porter sur la droite à la rencontre du général Desaix."

Ainsi donc, il arrivait. Notre messager l'avait retrouvé. Je fis signe à mes hommes et nous nous éloignâmes de cette plaine mortuaire pour accueillir le général.

La rencontre se fit peu de temps après. Le général me fit part des décisions du premier consul qu'il venait de quitter. Il m'apprit que certains généraux pensaient à la retraite, mais que le premier consul avait déclaré qu'il était temps de cesser de reculer. Et que lui-même avait ajouté que certes la bataille était perdue, mais que nous avions encore le temps d'en gagner une autre.

C'est ainsi que la division Desaix entra dans la bataille.

Son artillerie se mit en place. Le premier consul avait fait entreprendre à ses hommes un semblant de retraite ce qui avait rendu l'ennemi moins méfiant, sûr de sa victoire. Certains soldats, même, montaient à l'assaut avec le fusil sur l'épaule. Aussi quand l'ordre de repli fut inversé et que nos troupes mises au courant de l'arrivée de l'armée du général Desaix, repartirent de l'avant, l'armée ennemie fut surprise.

L'artillerie, nouvellement arrivée, fit à son tour de terribles dégâts dans les rangs des fantassins autrichiens. Au côté des généraux Monnier et Boudet, je suivais le général Desaix à l'assaut des lignes qui se présentaient devant nous. Le combat restait indécis. Mes hommes, épuisés par plusieurs heures d'affrontements, continuaient à se battre avec une vigueur insoupçonnée. A plusieurs reprises, je dégageai le général d'ennemie trop nombreux. Nous avancions pourtant. Le général Desaix était impétueux et imprévisible. Ainsi voyant un des ses hommes, isolé, aux prises avec plusieurs soldats ennemis, il se rua vers eux, seul. Le temps de réagir, le drame était accompli. Je le vis, alors que je chevauchais bride abattue vers lui, chanceler et tomber de son cheval. Je sautai à mon tour de ma monture et m'accroupis près de lui. Il avait reçu une balle dans la poitrine et perdait énormément de sang. Il put dans un souffle me dire :

" J'aurais tellement voulu vous citer auprès du premier consul." Puis ses yeux se fermèrent et sa tête roula sur le côté. Le général Desaix venait de mourir.

Le général Boudet, debout près de moi, les yeux humides, laissa la colère monter en lui. Il prenait le commandement et allait finir le travail de son chef.

Nous avions face à nous des grenadiers nombreux et entraînés, mais devant la détermination de la brigade Desaix, ils reculèrent. Et quand la cavalerie du général Kellermann les chargea, ils firent marche arrière. L'armée ennemie s'affaiblissait. De toutes parts, elle subissait des pertes. Le général Boudet reçut l'autorisation de monter à l'assaut du village de Marengo que nos troupes avaient fini par évacuer quelques heures plus tôt au plus fort de la bataille.

Auprès de ce jeune général vigoureux et courageux, nous chargeâmes en direction du village, recevant le soutien du corps d'armée du général Victor qui avait dû évacuer ce lieu stratégique dans l'après-midi. Il ne fallut pas longtemps pour que nous repoussassions les Autrichiens, démoralisés et épuisés, au-delà du village sur les rives de la Bormida. Marengo était de nouveau nôtre et à la tombée de la nuit, les troupes ennemies partirent se réfugier de l'autre côté de la rivière. Nous avions vaincu, mais à quel prix ! La plaine n'était plus qu'un immense cimetière où on entendait encore de temps à autre des gémissements.

Le lendemain, le baron général en chef Mélas capitula aux conditions du général Bonaparte. Une nouvelle paix s'instaurait. Nous allions retrouver la douceur de nos campagnes, la tendresse de nos épouses et les rires de nos enfants, mais jusqu'à quand ? Je pensais à Angélique qui m'attendait. Aurais-je encore le courage de la quitter lorsque le temps des combats sera revenu ? En regardant ce champ de bataille encore fumant et toutes ces vies anéanties, je me disais que la paix ne durerait pas. On ne construit pas la paix sur un tel charnier. Honoré vint me sortir de mes sombres pensées et me ramena à la réalité. Lever le camp et rejoindre notre vieux pays que nous avions encore su si bien protéger.


LE TEMPS DES ILLUSIONS

Comme il fut bon de retrouver ma douce amie. De Besançon, où elle avait accompagné son père, nommé commandant de la 6éme division militaire, elle vint m'attendre à Château-Thierry.

Ces quelques mois de campagne, éloigné de mon aimée, ma parurent longs et périlleux. Est-ce que le militaire fougueux parfois inconscient que j'étais se transformait en un homme responsable et prudent ? Pourtant le combat me fascinait toujours autant et dans la bataille, je retrouvais mes instincts de guerrier, j'oubliais mes états d'âme et luttais avec la même vigueur. Malgré tout, un petit quelque chose s'installait en moi comme un besoin de quiétude. Cela je le trouvais auprès d'Angélique, dans sa compagnie, nos promenades dans le parc de la propriété ou les soirées près du feu à disserter de toute chose.

J'étais bien auprès d'elle. Sa jeunesse, son sourire m'apaisaient et repartir pour guerroyer à nouveau m'apportait un pincement au coeur.

L'ami Honoré Greff venait parfois nous rejoindre et ensemble nous revivions nos faits d'armes avec passion. Angélique nous écoutait, mais parfois son regard se perdait vers dehors. Élevée dans le giron militaire, elle savait de trop ce qu'étaient les douleurs d'une femme de soldat.

Les nouvelles de la Nation étaient contrastées. Le général et premier consul Bonaparte, délaissant ses campagnes militaires et ayant obtenu un armistice avec la coalition, s'engageait plus en avant dans la vie politique. On entendait dire que son poste de premier consul ne lui suffisait plus et qu'il envisagerait d'asseoir sa seule autorité sur le pays.

Il signa la paix avec l'Autriche en 1801 à Lunéville et avec l'Angleterre à Amiens en 1802. Il s'attaqua à la réforme des institutions. Il créa la fonction de préfet et s'attaqua à l'élaboration d'un code civil. Mais surtout, il revint sur la constitution de l'an VIII et se fit nommer consul à vie ce qui renforça l'idée qu'il désirait gouverner seul.

La nation vivait encore des moments d'incertitude. Un premier attentat royaliste en décembre 1800 rue saint Nicaise, qui visait Napoléon Bonaparte, fit plus de vingt morts et une centaine de blessés. Une machine infernale explosa au passage de son carrosse alors qu'il se rendait à l'opéra. Cet acte infâme obligea le premier consul à prendre des dispositions autoritaires. Il dut museler l'opposition jacobine dont le rôle dans cet attentat n'était pas clair. Une liste de proscrits fut établie et certains déportés. Mais surtout en 1803, le complot royaliste du chef chouan Cadoudal faillit mettre à mal la République ou du moins ce qui en restait. Ce complot, orchestré par ce Cadoudal, avait pour but d'enlever ou de tuer le premier consul. Aidé par le général Pichegru, le chef chouan, une fois sa besogne effectuée, pensait instaurer un gouvernement provisoire sous l'autorité du général Moreau en attendant l'arrivée d'un prince français. Heureusement, le général Moreau hésita ce qui permit aux hommes de Fouché, le chef de la police, de découvrir le complot et d'en arrêter les instigateurs. Cadoudal sera guillotiné, Pichegru se suicidera et Moreau exilé. La marche en avant du premier consul se poursuivait. Il fit arrêter le duc d'Enghein qu'il croyait être le prince comploteur et le fit exécuter dans les fossés de Vincennes.

Cette fin d'année 1803 fut pour moi marquée du signe de la fierté. Je reçus une lettre de l'état major comme quoi j'avais été nommé pour recevoir des mains du premier consul, la Légion d'honneur en récompense de mes faits d'armes durant les campagnes passées. Mon émoi fut à la hauteur de ma surprise. Cette récompense, instaurée par Bonaparte, avait juste un an et je faisais partie des premiers honorés. Il fallut attendre le mois de juillet 1804 pour que la cérémonie eût lieu à la chapelle des Invalides devant les grands dignitaires de l'État.

Le général Bonaparte avait obtenu, du sénat, la dignité impériale et il venait de se faire sacrer empereur sous le nom de Napoléon 1er.

Aussi cette cérémonie de remise de décorations fut éclaboussée de tous les fastes de l'empire naissant. Le parterre de personnalités qui assistait à cette cérémonie rivalisait d'atours des plus brillants. L'ancien régime devait ressembler à cela, la République paraissait bien loin.

Malgré tout, j'avoue avoir été fasciné par tant de splendeurs étalées et lorsque je croisai le regard de l'empereur au moment où il me décora, je retrouvai cette même intensité dans ses yeux que dans ceux du jeune général qui nous avait entraînés vers tant de succès en Italie.

Nous avions combattu sous la bannière de la République, nous allions, désormais combattre, sous celle de l'Empire. Je ne savais que trop penser de cette nouvelle "Révolution". Était-ce un bien ou un retour à l'ancien régime ? Malgré tout, j'étais un soldat et devais défendre ma nation contre les agresseurs, quel que soit le régime politique en place.

Ces quatre années de troubles politiques, je les passai en compagnie de mon épouse et loin de toute agitation parisienne. Ce fut quatre années de bonheur vrai, d'autant qu'en ce début d'année 1805, Angélique m'apprit qu'elle était enceinte. C'est à ce moment-là qu'Honoré m'annonça que la coalition étrangère se reformait et qu'il fallait s'attendre à combattre à nouveau. Pendant un court instant, je maudis ma fonction d'officier.

Le 13 septembre de cette année, ma fille, Louise Pauline Everina naissait alors que j'étais en route avec mon régiment vers Strasbourg où l'empereur rassemblait ses troupes. Les armées autrichiennes étaient entrées en Bavière violant ainsi le traité de Lunéville et retournant le Grand Électeur contre eux.

Je pensais à ma fille que je ne connaissais pas encore et que j'espérais serrer dans mes bras très vite.