vendredi 29 mai 2009

Récit d'un hussard (8 et 9)

Privé de modem depuis quinze jours( merci Alice), je poursuis mon récit par une voie détournée, en espèrant retrouver internet très vite. Suivent deux chapitres .


MARENGO


Nous devions rejoindre Dijon où nous serions momentanément casernés avant de retrouver les terrains d'opération.

Partis de Paris en toute fin du mois d'avril, nous cheminions vers l'est. Le temps était beau et les parfums du printemps nous accompagnaient sur la route.

Malgré mon grade de capitaine, j'avais été nommé commandant de corps. Nous manquions d'officiers supérieurs et de fait, nous étions quelques simples officiers nommés à de telles responsabilités. Le 1er hussard, fort de 120 hommes, était sous mon commandement. Si j'en éprouvais une grande fierté, je ressentais aussi une appréhension réelle. Saurais-je commander ces hommes que je connaissais bien et dont la rudesse ne masquait pas une fidélité totale à leur corps d'armée ?

Heureusement Honoré Greff était à mes côtés et son soutien m'était ma plus grande assurance. N'avait-il pas promis à Angélique qu'il me protégerait ?

Nous devisions de la situation de notre pays et de notre armée. Malgré les nouvelles peu optimistes qui venaient d'Italie, nous avions confiance en notre général en chef. Il s'était encore couvert de gloire en Égypte et en décidant de s'imposer politiquement à la Nation, nous pensions qu'il était certainement celui qui pourrait sortir notre pays de ces guerres incessantes.

Nous ne croyions pas qu'il n'ait fait que participer au coup d'éclat du 18 brumaire. Nous pensions qu'il en était l'instigateur avec son frère Lucien, président des cinq-cents et que les deux autres consuls, Sieyès et Ducos, ne servirent que de cautions politiques.

Arrivés à Dijon, nous apprîmes que le général Masséna avec son armée était assiégé dans Gênes par les Autrichiens. De plus, les soldats français devaient faire face à la famine imposée par le blocus et aux épidémies. Nous ne savions pas combien de temps encore le glorieux général allait pouvoir tenir. Le général Moreau, de son côté, qui devait faire diversion pour dégager le général Masséna, ne progressait pas suffisamment vite. Notre général en chef, devant cette situation mal engagée, prit les décisions, comme à son habitude, les plus radicales. Il décida que nous passerions en Italie par le chemin le plus court; le col du Grand-Saint-Bernard. Passage périlleux, d'autant que l'hiver n'était pas fini là-haut et que nous allions devoir progresser dans la neige. Mais rien n'arrêtait le premier consul. Il avait fait venir auprès de lui le général du génie Marescot, chargé de la reconnaissance des Alpes et lui avait demandé:

- Par où pouvons-nous passer?

- Le Saint Bernard semble le plus approprié..Mais l'opération sera difficile

- Difficile, dites-vous général, mais est-ce possible ?

- Je le crois. Avec des efforts extraordinaires.

- Alors, partons!

Ainsi, fut fait et nous prîmes la direction du col des Alpes, non sans appréhension devant la difficulté de la route.

L'aventure promettait d'être insensée. Arrivés au pied du col, nous comprîmes la difficulté que nous aurions pour faire passer les pièces d'artillerie sur l'autre versant. La route était à peine carrossable et la pente bien raide. Les fantassins s'engagèrent se couvrant de leurs manteaux, la température avait baissé d'un coup et le froid nous cinglait le visage. Nous les suivîmes, essayant de ménager nos montures autant que cela se pouvait tant la route devenait glissante et périlleuse. Quant à l'artillerie lourde, le problème restait entier. On promit aux paysans des villages avoisinants, mille francs par pièce de canon transportée au sommet. Mais après quelques jours d'efforts et si peu de résultats, il fallait plusieurs dizaines d'hommes pour faire passer une seule pièce en deux jours, les paysans épuisés, abandonnèrent le travail. Alors, les artilleurs, refusant toute gratitude financière, décidèrent de se charger eux-mêmes de l'opération. Leur officier affirmant qu'il était de leur honneur de sauver leurs canons.

Loin devant, nous progressions. Nous longions le cours de la Doria et la route devenait moins périlleuse. Devant nous, la vallée s'élargissait et nous pensions avoir accompli le plus difficile. Mais notre soulagement fut de courte durée, l'armée dut stopper sa progression. Les éclaireurs vinrent prévenir nos chefs que nous allions aborder un défilé étroit, surmonté par le fort de Bard et qu'il nous serait difficile de passer, non seulement sans subir de lourdes pertes, mais aussi sans prévenir l'ennemi de notre progression. Car jusque-là, Bonaparte avait réussi à tromper les espions autrichiens en faisant croire que seuls quelques renforts s'étaient engagés dans le col pour porter secours au général Masséna toujours enfermé dans Génes. Le premier consul, en éparpillant les rassemblements de troupes sur tout le flanc Est de la France et ne les faisant converger tous vers le col qu'au tout dernier moment, avait leurré les Autrichiens et leur haut commandement croyait même que Bonaparte, lui-même, était resté à Paris pour faire face à une rébellion. Le piège avait fonctionné à merveille, alors que notre premier consul était là près de nous à Martigny d'où il reçut les informations concernant l'arrêt de notre progression.

Alors, avec son état-major, il étudia les cartes et découvrit d'autres voies possibles pour passer les Alpes et éviter ce défilé.

Ordre nous fut donné de nous diviser et de prendre des sentiers séparés qui se réunissaient, plus loin, au-delà, du fort de Bard. Le général en chef prit aussi la décision de laisser sur place toutes les pièces d'artillerie qui ne pouvaient passer et qui allaient retarder notre avancée. Il affirma, parait-il, à ses officiers que nous n'aurions plus qu'à prendre celles des Autrichiens dès notre premier affrontement.

Puis, il s'engagea, à son tour, dans le col, à dos d'un mulet conduit par un guide du pays et qui avait confirmé la possibilité de rejoindre l'Italie par d'autres voies, en particulier, celle d'Albaredo.

Bonaparte fit savoir au commandant de l'artillerie et revenant ainsi sur sa première décision, d'essayer, malgré tout, de faire passer ses pièces sous le fort de Brad. De trouver le moyen d'éviter d'attirer l'attention des Autrichiens. D'abandonner son matériel seulement si le passage était impossible.

Ainsi, fut fait. Tandis que de l'autre rive, nous progressions, à la vue dépitée des soldats ennemis positionnés dans le fort, notre artillerie, après avoir couvert la route de fumier et de paille et disposé des étoupes autour des pièces, passait en dessous de ces mêmes soldats dans un silence absolu.

Nous nous retrouvâmes bientôt à Saint-Rémy. Nous avions passé les Alpes et nous tenions prêts à dévaler vers les positions autrichiennes.

Au bivouac, Honoré Greff retrouva son pays, Perrier, l'artilleur, qui nous raconta cette épopée à travers les cols alpins :

- Tu vois, j'ai fait la campagne d'Égypte, là-bas, c'était tout plaines, ici, c'est tout montagnes. Qu'importe, on ne connaît qu'un mot d'ordre: " En avant!" Et plaines ou montagnes, c'est tout pareil, il suffit de vouloir. Il paraît qu'un certain Hannibal était passé là avec des éléphants, on n'allait pas rester derrière avec nos canons. Je ne sais pas comment on a fait, mais on est passé.

Le brave Perrier méritait tout comme ses frères d'armes, un bon repos, car bientôt, il allait falloir nous engager.

Le Lieutenant-Général Lannes qui commandait l'avant-garde avait ouvert la voie de Turin et attiré vers lui les troupes ennemies, persuadées que la ville était l'objectif de notre général en chef. En fait, celui-ci visait Milan et espérait bien y entrer par surprise.

Ce jour, le 23 mai, je fus convoqué par le Lieutenant-Général Murat, le commandant en chef de la cavalerie. Auprès de lui se trouvait le général de division Berthier ainsi que les généraux Kellermann, Champeaux et Rivaud, ils m'apprirent que le général Masséna tenait toujours tête aux assaillants autrichiens, mais qu'il était au bord de l'agonie. La moitié de ses soldats étaient morts et les vivres manquaient. Nous devions absolument traverser le Pô avant sa capitulation, avant l'arrivée des troupes du maréchal Mélas. Murat me fit savoir que le 1er Hussard avait été choisi pour installer une première ligne offensive de l'autre côté du fleuve. Il nous était demandé de prendre le pont qui gardait la ville de Plaisance et de le tenir jusqu'à l'arrivée des troupes. Le général Moncey, de son côté, après avoir franchi le Saint-Ghotard, filait vers Milan où il attendrait le général Bonaparte. Nous devions ouvrir la voie à toute la cavalerie, le reste de l'armée traverserait le Pô à Stradella.

En sortant de la tente du Lieutenant-Général, j'avais l'impression de me retrouver quelques années auparavant où il m'avait été demandé, déjà, de tenir un pont.

Je rassemblai mes hommes et leur fit part de notre mission. Avoir été choisi pour mener cette offensive les rendit fiers. Ils redressèrent la tête et d'un seul cri glorifièrent la patrie et le premier consul.

La nuit était froide. Près du feu, j'essayai de me concentrer sur cette mission, me remémorer les lieux autour de Plaisance. Mais je ne pouvais pas libérer mon esprit de l'image de ma tendre épouse. Je sortis de dessous mon uniforme ce médaillon que j'avais autour du cou. J'en actionnai le fermoir et fit apparaître son visage si fin, si radieux. Pour la première fois, je me demandai si je la reverrais. Je prenais conscience que ma vie ne tenait à pas grand-chose ; une dose de chance certainement. Perdu dans mes pensées, je n'entendis pas Honoré s'approchait de moi. Il posa sa main sur la mienne, m'aidant à refermer le médaillon et me dit:" Ne t'inquiète pas. Votre amour te protégera." Nous restâmes un moment silencieux puis mon ami me demanda ce que je comptais faire. Je regardai le ciel et apercevant la lune qui illuminait notre campement me vint une certitude. " Je pense que nous devons partir avant le lever du jour. Regarde, la lune nous guidera. Nous devrons nous approcher du pont avant que le soleil n'apparaisse et attaquer par surprise. Quelles que soient les forces que nous trouverons en face de nous, nous aurons plus de chances de les vaincre ainsi. Greff me regarda et me sourit:" alors nous devons nous mettre en route, le jour n'est plus très loin. Je vais réveiller les gars." Il me laissa et je pensai que nous avions déjà combattu à Plaisance trois ans auparavant, c'était un avantage. Nous avions alors ouvert la voie vers Lodi, étape obligée qui nous mena quelques mois plus tard à Milan. Dire que nous avions reperdu toutes ces places fortes en un an alors que le général Bonaparte guerroyait en Égypte. Le combat, demain, serait rude. L'état-major ne m'avait pas caché que les forces ennemies seraient, peut-être, plus importantes que nous. Aussi, il m'avait recommandé de nous en tenir au pont et de ne pas nous aventurer trop loin sur l'autre rive. Je me redressai d'un coup et portai ma main sur mon coeur. Je sentis le médaillon sous mes doigts et ainsi, assuré que rien ne pourrait m'arriver, j'allais rejoindre mon escadron qui se préparait déjà à partir.

Nous nous éloignâmes du camp le plus silencieusement possible. Les soldats de garde nous regardèrent passer sans un mot. Leurs regards en disaient plus que le moindre mot d'encouragement.

Nous chevauchâmes prudemment tout le long de la route. La lune nous offrait la lueur suffisante pour progresser sans heurts. Nous nous approchions du Pô et pouvions déjà, entendre son grondement et, très vite, la fraîcheur qui émanait de ses eaux.

Accroupis, à l'orée d'un bois, nous observions le pont que nous devions reprendre. Deux feux de camp nous indiquaient la présence de troupes ennemies, mais nous pouvions difficilement les repérer, malgré l'éclairage de la lune. Il n'y avait pas de bruit, les hommes devaient dormir. Seuls, quelques soldats parlaient près des feux et d'autres patrouillaient aux abords du pont. Une quinzaine d'hommes tout au plus. Nous devions attendre les premières lueurs du matin pour nous faire une idée des forces présentes. Attaquer maintenant sans repère me semblait suicidaire. Le ciel pâlissait lentement là bas derrière nous, une petite heure et nous serions fixés sur nos chances de réussite.

Plusieurs fois durant cette attente, je portai ma main sur mon coeur et sentis le médaillon d'Angélique. Se mêlaient en moi, l'excitation face au combat imminent et la tristesse d'être loin de mon aimée.

La brume du petit matin faisait comme un voilage léger qui semblait s'élever au-dessus du fleuve. Maintenant, à travers les volutes émanant des eaux froides du Pô, nous pouvions observer les positions ennemies. Le campement nous apparut dans son ensemble. Il devait y avoir un peu plus d'une centaine de soldats, guère plus que nous. Deux canons seulement. La situation n'était pas mauvaise. Il nous faudrait surgir brutalement du bois où nous nous cachions pour que la longue chevauchée sur le pont ne nous mette pas en danger. Seul cet effet de surprise nous permettait de réussir notre entreprise. Et nous devions agir sans tarder, profiter du désordre dans les rangs autrichiens. Nous n'aurons pas beaucoup de temps pour prendre le dessus sur eux et les forcer à se rendre.

Je rassemblai mes hommes autour de moi et leur dis que seul le passage par le pont était possible. Le Pô était trop profond et trop remuant pour espérer le traverser à gué et contourner l'ennemi. Attaquer par un seul axe et de front, allait rendre notre offensive périlleuse et certainement mortelle pour certains d'entre nous, mais nous pouvions compter sur l'effet de surprise pour accomplir notre mission et ainsi permettre aux troupes de la Nation de progresser au-delà du fleuve et mettre à mal la nouvelle coalition qui se dressait devant nous.

En silence, nous nous encourageâmes, puis montâmes à cheval et nous disposâmes dans l'axe du pont. Sur l'autre rive, les soldats autrichiens se réveillaient lentement et s'affairaient sans se douter de ce qui les attendait. Il était temps de leur faire connaître notre présence. Je levai mon sabre et dis à voix haute : " Messieurs, pour la Nation !" Je pointai mon sabre vers l'ennemi et d'un coup d'étrier fis démarrer ma monture au galop. Je sentis le souffle des chevaux de mes hommes autour de moi et c'est ainsi que nous débouchâmes du bois et entrâmes sur le pont dans un bruit assourdissant des sabots et de nos cris mêlés.

Les Autrichiens furent pris de panique. Ils couraient dans tous les sens, à demi nus ou finissant de se vêtir en catastrophe en se jetant sur leurs armes. Seuls, ceux de garde essayèrent de se positionner à l'autre bout du pont, leurs armes pointées vers nous. Leur salve ne nous arrêta pas. J'entendis seulement le cri de quelques-uns de mes hommes touchés puis le bruit sourd de leur chute sur le pont.

Nous étions déjà arrivés sur l'autre rive. Et avant que les fantassins ennemis aient le temps de recharger, nous étions sur eux et les sabrions sans ménagement. Puis nous occupâmes le camp, allant de toutes parts, poursuivant ces soldats qui s'éparpillaient dans un désordre inimaginable. Certains, malgré tout, essayaient de résister, attrapant une baïonnette ou un sabre, ils se mettaient face à nous. Mais la puissance de nos chevaux et la hargne qui nous habitait les expédièrent ad patres sans retenue. À bout d'épuisement et de courage, l'ennemi se rendit, alors que certains de mes hussards poursuivirent ceux qui voulaient s'échapper vers l'arrière et prévenir l'armée ennemie de notre offensive. Le succès était total. Nous avions près de cent prisonniers et deux canons à notre disposition. Le sol était jonché de corps morts ou mourants. J'autorisai l'ennemi à les soigner alors que j'envoyai l'un de mes hommes à la rencontre de nos troupes pour leur annoncer la réussite de notre mission. Je fis soigner nos blessés, peu nombreux et je ne dus déplorer que cinq morts dans mon unité. J'étais soulagé. Honoré Greff vint vers moi et me félicita en me disant :

"Surtout garde ce médaillon sur toi, il est notre porte-bonheur."

Trois heures plus tard, alors que j'avais organisé le campement de façon à faire face à une éventuelle contre-offensive autrichienne, les premières unités de notre armée arrivèrent et traversèrent le pont. Le bruit des sabots des chevaux trottant sur le pont semblait être un orage sans fin. Une menace inquiétante pour les troupes autrichiennes qui durent entendre ce roulement au-delà des forêts et des plaines.

Le lieutenant-général Murat vint à ma rencontre et me félicita pour la réussite de notre entreprise:

- Maintenant le général en chef peut rejoindre Milan, rien ni personne ne pourra l'en empêcher. Et ceci en partie grâce à vous. Je vous félicite capitaine. Je savais vos hussards courageux, ils ont démontré aujourd'hui leur habileté et leur fidélité.

Le général Bonaparte était dans Milan, quand nous apprîmes la capitulation du général Masséna. Il perdit la moitié de ses hommes et les trois quarts de ses officiers, mais il put sortir librement de la ville de Gênes avec ce qui restait de son armée, déjà décidé à reprendre le combat et à faire payer aux Autrichiens les journées qu'il venait de passer. Pendant ce temps-là, le général Lannes avait atteint le défilé de la Stradella. Ainsi, tous les passages du Pô étaient gardés de Pavie à Plaisance et le général Ott qui essaya de les forcer fut repoussé sur la Bormida. Nous avions en peu de temps repris une partie des places fortes que nous avions conquise lors de la précédente campagne.

Le général Bonaparte vint nous rejoindre aux abords de Plaisance, persuadé d'y trouver l'armée de Mélas.

Le général Desaix qui venait de rentrer d'Égypte vint rejoindre nos troupes en Italie. Aussitôt, le premier consul lui donna une division et lui ordonna de partir en avant-garde vers Rivalta et, éventuellement, couper la route à l'ennemi s'il se dirigeait vers Gènes.

Pendant ce temps, notre général en chef décida de se rendre à Castel-Nuovo et demanda au 1er hussard de battre la plaine de Marengo et d'y débusquer l'ennemi.

Nous partîmes en direction de l'immense plaine qui nous faisait face. Nous savions que nous n'aurions peu d'endroits où surprendre les Autrichiens tant la plaine était ouverte avec seulement quelques bosquets de-ci de-là.

Très vite, en progressant prudemment, nous nous aperçûmes qu'il n'y avait pas le moindre casque ennemi dans ce lieu. Nous poussâmes jusqu'à San-Giuliano où nous constatâmes l'absence totale de soldats autrichiens. Je décidai de rejoindre l'armée de Bonaparte et de lui rendre compte de ce que nous avions vu ou plutôt de ce que nous n'avions pas vu.

Le premier consul semblait perplexe après avoir entendu mon rapport. Il décida que nous progresserions jusqu'au village de Marengo.

Le village n'offrit que peu de résistance. Les avant-postes ennemis qui s'y trouvaient furent repoussés sur la Bormida.

Le général Bonaparte fit poursuivre ces soldats au-delà de la rivière et demanda à ce que soient détruits les ponts qui l'enjambaient.

Nous passâmes la nuit aux abords du village et dans la plaine. Les troupes étaient inquiètes. Pour la première fois, notre chef des armées semblait hésiter et ne pas savoir où se trouvaient les forces ennemies rajoutait un peu plus de crainte dans les esprits de ces hommes qui avaient vécu tant d'aventures et de batailles victorieuses, mais aussi tant de souffrances et de pertes, qu'on sentait la lassitude chez beaucoup d'entre eux. Mais dès le lendemain, le 14 juin, les interrogations et les craintes de la veille furent balayées. Au lever du jour, les Autrichiens firent irruption et nous attaquèrent.

Jamais une bataille ne fut si mal préparée. Nous étions mal réveillés, désorganisés qu'il nous fallût faire face aux premières attaques ennemies. Nous vîmes, impuissants, notre artillerie se faire décimer en quelques minutes par celle, puissante et nombreuse, de l'ennemi. Beaucoup de nos pièces étaient restées bloquées dans les montagnes.

Les premières charges autrichiennes mirent à mal notre infanterie et particulièrement la division du général Gardanne qui dut se retirer vers le village de Marengo, bien décidée à le garder aussi longtemps que possible. De partout nous subissions des pertes. L'artillerie ennemie sans opposition décimait nos rangs. La bataille était mal engagée et, avec mes hommes, je trépignais d'impatience. Qu'attendait-on pour nous lancer dans la mêlée et secourir nos pauvres fantassins?

A cet instant, le général Bonaparte me fit venir auprès de lui et me demanda de choisir parmi mes hommes, un messager qui irait à la rencontre du général Desaix et lui demander de revenir au plus vite." Je croyais attaquer l'ennemi, il m'a prévenu. Revenez, au nom de Dieu, si vous le pouvez encore! Telles furent les paroles que ce messager devait transmettre au général Desaix. Puis le général Bonaparte s'adressa au général Murat. " Engagez votre cavalerie, général, et réduisait au silence celle de l'ennemie".

Nous y étions enfin. Nous allions nous ruer sur ces cavaliers autrichiens qui tuaient nos fantassins. Ceux-ci, ivres de courage, résistaient toujours aux charges autrichiennes en cédant peu de terrain. Il était temps pour nous, maintenant, de les protéger.

Nous étions en début de l'après-midi, la bataille avait commencé au lever du jour, et pourtant, si nos troupes faiblissaient, rien n'était perdu. La plaine était jonchée de corps ensanglantés, mais nous tenions nos positions et le village de Marengo résistait toujours. Nous fonçâmes vers les cavaliers ennemis qui furent bien surpris de nous voir surgir devant eux. La rage qui nous habitait, nous rendit encore plus féroces et nous sabrâmes autour de nous sans retenue, désarçonnant l'adversaire et laissant les fantassins finir le travail. Mon bras me faisait mal à force de frapper, mais mon unité progressait dans les rangs de la cavalerie ennemie qui finit par abandonner le terrain. Plus loin, j'apercevais les brigades du général Kellermann, digne fils du vainqueur de Valmy, et celle du général Champeaux, qui devait soutenir les troupes du général Lannes, en proie à des combats âpres et rudes avec les cavaliers ennemis. Je haranguais mes hommes et les poussais à me suivre au soutien des autres brigades. Nous arrivâmes auprès de la brigade du général Champeaux qui était encerclée par divers escadrons ennemis. Notre intervention soudaine mit le désordre dans les lignes ennemies. Le général put se dégager et contre attaquer la cavalerie autrichienne. Nous progressions à nouveau lorsque le général tout proche de moi reçut un coup de sabre sur la poitrine. Je le vis chanceler et tomber de son cheval alors que son agresseur était déjà transperçait par une baïonnette d'un des fantassins qui nous entouraient.

Le général était mort et ses troupes passant sous le commandement du chef de brigade Millet continuaient le combat, bien décidées à venger leur chef.

La mêlée était furieuse. Tant de morts autour de nous. Tant de cris et de hurlements, il était impossible de savoir qui prenait le dessus. Nous combattions farouchement autant que nos forces nous le permettraient. Honoré Greff toujours à mes côtés comme mon ange protecteur sabrait tout en gardant un oeil sur moi. Nous étions dégoulinant, sanglants, harassés et pourtant nous continuions. Soudain, surgissant de cette multitude, un jeune officier m'interpella:

" Capitaine! Le général Rivaux vous demande de rompre le combat et de vous porter sur la droite à la rencontre du général Desaix."

Ainsi donc, il arrivait. Notre messager l'avait retrouvé. Je fis signe à mes hommes et nous nous éloignâmes de cette plaine mortuaire pour accueillir le général.

La rencontre se fit peu de temps après. Le général me fit part des décisions du premier consul qu'il venait de quitter. Il m'apprit que certains généraux pensaient à la retraite, mais que le premier consul avait déclaré qu'il était temps de cesser de reculer. Et que lui-même avait ajouté que certes la bataille était perdue, mais que nous avions encore le temps d'en gagner une autre.

C'est ainsi que la division Desaix entra dans la bataille.

Son artillerie se mit en place. Le premier consul avait fait entreprendre à ses hommes un semblant de retraite ce qui avait rendu l'ennemi moins méfiant, sûr de sa victoire. Certains soldats, même, montaient à l'assaut avec le fusil sur l'épaule. Aussi quand l'ordre de repli fut inversé et que nos troupes mises au courant de l'arrivée de l'armée du général Desaix, repartirent de l'avant, l'armée ennemie fut surprise.

L'artillerie, nouvellement arrivée, fit à son tour de terribles dégâts dans les rangs des fantassins autrichiens. Au côté des généraux Monnier et Boudet, je suivais le général Desaix à l'assaut des lignes qui se présentaient devant nous. Le combat restait indécis. Mes hommes, épuisés par plusieurs heures d'affrontements, continuaient à se battre avec une vigueur insoupçonnée. A plusieurs reprises, je dégageai le général d'ennemie trop nombreux. Nous avancions pourtant. Le général Desaix était impétueux et imprévisible. Ainsi voyant un des ses hommes, isolé, aux prises avec plusieurs soldats ennemis, il se rua vers eux, seul. Le temps de réagir, le drame était accompli. Je le vis, alors que je chevauchais bride abattue vers lui, chanceler et tomber de son cheval. Je sautai à mon tour de ma monture et m'accroupis près de lui. Il avait reçu une balle dans la poitrine et perdait énormément de sang. Il put dans un souffle me dire :

" J'aurais tellement voulu vous citer auprès du premier consul." Puis ses yeux se fermèrent et sa tête roula sur le côté. Le général Desaix venait de mourir.

Le général Boudet, debout près de moi, les yeux humides, laissa la colère monter en lui. Il prenait le commandement et allait finir le travail de son chef.

Nous avions face à nous des grenadiers nombreux et entraînés, mais devant la détermination de la brigade Desaix, ils reculèrent. Et quand la cavalerie du général Kellermann les chargea, ils firent marche arrière. L'armée ennemie s'affaiblissait. De toutes parts, elle subissait des pertes. Le général Boudet reçut l'autorisation de monter à l'assaut du village de Marengo que nos troupes avaient fini par évacuer quelques heures plus tôt au plus fort de la bataille.

Auprès de ce jeune général vigoureux et courageux, nous chargeâmes en direction du village, recevant le soutien du corps d'armée du général Victor qui avait dû évacuer ce lieu stratégique dans l'après-midi. Il ne fallut pas longtemps pour que nous repoussassions les Autrichiens, démoralisés et épuisés, au-delà du village sur les rives de la Bormida. Marengo était de nouveau nôtre et à la tombée de la nuit, les troupes ennemies partirent se réfugier de l'autre côté de la rivière. Nous avions vaincu, mais à quel prix ! La plaine n'était plus qu'un immense cimetière où on entendait encore de temps à autre des gémissements.

Le lendemain, le baron général en chef Mélas capitula aux conditions du général Bonaparte. Une nouvelle paix s'instaurait. Nous allions retrouver la douceur de nos campagnes, la tendresse de nos épouses et les rires de nos enfants, mais jusqu'à quand ? Je pensais à Angélique qui m'attendait. Aurais-je encore le courage de la quitter lorsque le temps des combats sera revenu ? En regardant ce champ de bataille encore fumant et toutes ces vies anéanties, je me disais que la paix ne durerait pas. On ne construit pas la paix sur un tel charnier. Honoré vint me sortir de mes sombres pensées et me ramena à la réalité. Lever le camp et rejoindre notre vieux pays que nous avions encore su si bien protéger.


LE TEMPS DES ILLUSIONS

Comme il fut bon de retrouver ma douce amie. De Besançon, où elle avait accompagné son père, nommé commandant de la 6éme division militaire, elle vint m'attendre à Château-Thierry.

Ces quelques mois de campagne, éloigné de mon aimée, ma parurent longs et périlleux. Est-ce que le militaire fougueux parfois inconscient que j'étais se transformait en un homme responsable et prudent ? Pourtant le combat me fascinait toujours autant et dans la bataille, je retrouvais mes instincts de guerrier, j'oubliais mes états d'âme et luttais avec la même vigueur. Malgré tout, un petit quelque chose s'installait en moi comme un besoin de quiétude. Cela je le trouvais auprès d'Angélique, dans sa compagnie, nos promenades dans le parc de la propriété ou les soirées près du feu à disserter de toute chose.

J'étais bien auprès d'elle. Sa jeunesse, son sourire m'apaisaient et repartir pour guerroyer à nouveau m'apportait un pincement au coeur.

L'ami Honoré Greff venait parfois nous rejoindre et ensemble nous revivions nos faits d'armes avec passion. Angélique nous écoutait, mais parfois son regard se perdait vers dehors. Élevée dans le giron militaire, elle savait de trop ce qu'étaient les douleurs d'une femme de soldat.

Les nouvelles de la Nation étaient contrastées. Le général et premier consul Bonaparte, délaissant ses campagnes militaires et ayant obtenu un armistice avec la coalition, s'engageait plus en avant dans la vie politique. On entendait dire que son poste de premier consul ne lui suffisait plus et qu'il envisagerait d'asseoir sa seule autorité sur le pays.

Il signa la paix avec l'Autriche en 1801 à Lunéville et avec l'Angleterre à Amiens en 1802. Il s'attaqua à la réforme des institutions. Il créa la fonction de préfet et s'attaqua à l'élaboration d'un code civil. Mais surtout, il revint sur la constitution de l'an VIII et se fit nommer consul à vie ce qui renforça l'idée qu'il désirait gouverner seul.

La nation vivait encore des moments d'incertitude. Un premier attentat royaliste en décembre 1800 rue saint Nicaise, qui visait Napoléon Bonaparte, fit plus de vingt morts et une centaine de blessés. Une machine infernale explosa au passage de son carrosse alors qu'il se rendait à l'opéra. Cet acte infâme obligea le premier consul à prendre des dispositions autoritaires. Il dut museler l'opposition jacobine dont le rôle dans cet attentat n'était pas clair. Une liste de proscrits fut établie et certains déportés. Mais surtout en 1803, le complot royaliste du chef chouan Cadoudal faillit mettre à mal la République ou du moins ce qui en restait. Ce complot, orchestré par ce Cadoudal, avait pour but d'enlever ou de tuer le premier consul. Aidé par le général Pichegru, le chef chouan, une fois sa besogne effectuée, pensait instaurer un gouvernement provisoire sous l'autorité du général Moreau en attendant l'arrivée d'un prince français. Heureusement, le général Moreau hésita ce qui permit aux hommes de Fouché, le chef de la police, de découvrir le complot et d'en arrêter les instigateurs. Cadoudal sera guillotiné, Pichegru se suicidera et Moreau exilé. La marche en avant du premier consul se poursuivait. Il fit arrêter le duc d'Enghein qu'il croyait être le prince comploteur et le fit exécuter dans les fossés de Vincennes.

Cette fin d'année 1803 fut pour moi marquée du signe de la fierté. Je reçus une lettre de l'état major comme quoi j'avais été nommé pour recevoir des mains du premier consul, la Légion d'honneur en récompense de mes faits d'armes durant les campagnes passées. Mon émoi fut à la hauteur de ma surprise. Cette récompense, instaurée par Bonaparte, avait juste un an et je faisais partie des premiers honorés. Il fallut attendre le mois de juillet 1804 pour que la cérémonie eût lieu à la chapelle des Invalides devant les grands dignitaires de l'État.

Le général Bonaparte avait obtenu, du sénat, la dignité impériale et il venait de se faire sacrer empereur sous le nom de Napoléon 1er.

Aussi cette cérémonie de remise de décorations fut éclaboussée de tous les fastes de l'empire naissant. Le parterre de personnalités qui assistait à cette cérémonie rivalisait d'atours des plus brillants. L'ancien régime devait ressembler à cela, la République paraissait bien loin.

Malgré tout, j'avoue avoir été fasciné par tant de splendeurs étalées et lorsque je croisai le regard de l'empereur au moment où il me décora, je retrouvai cette même intensité dans ses yeux que dans ceux du jeune général qui nous avait entraînés vers tant de succès en Italie.

Nous avions combattu sous la bannière de la République, nous allions, désormais combattre, sous celle de l'Empire. Je ne savais que trop penser de cette nouvelle "Révolution". Était-ce un bien ou un retour à l'ancien régime ? Malgré tout, j'étais un soldat et devais défendre ma nation contre les agresseurs, quel que soit le régime politique en place.

Ces quatre années de troubles politiques, je les passai en compagnie de mon épouse et loin de toute agitation parisienne. Ce fut quatre années de bonheur vrai, d'autant qu'en ce début d'année 1805, Angélique m'apprit qu'elle était enceinte. C'est à ce moment-là qu'Honoré m'annonça que la coalition étrangère se reformait et qu'il fallait s'attendre à combattre à nouveau. Pendant un court instant, je maudis ma fonction d'officier.

Le 13 septembre de cette année, ma fille, Louise Pauline Everina naissait alors que j'étais en route avec mon régiment vers Strasbourg où l'empereur rassemblait ses troupes. Les armées autrichiennes étaient entrées en Bavière violant ainsi le traité de Lunéville et retournant le Grand Électeur contre eux.

Je pensais à ma fille que je ne connaissais pas encore et que j'espérais serrer dans mes bras très vite.

lundi 18 mai 2009

Récit d'un hussard (7)

LE REPOS DU GUERRIER


Ma convalescence m'amena auprès des miens, dans le pays du Limousin et puis, après quelques mois d'absolue inactivité, je rejoignis Paris où les troupes de l'armée d'Italie, derrière leur général en chef Bonaparte, revenaient après la signature du traité de Campo-formio. Nous étions début décembre 1797 et l'air était encore doux. Leur entrée dans la capitale fut triomphale. Depuis longtemps déjà leurs exploits étaient connus des Parisiens et ces derniers tenaient à voir de plus près ces soldats hirsutes, sales, dépenaillés, mais vainqueurs. Amassés le long des rues, ils aperçurent, aussi, ce jeune général dont ils avaient tant entendu parler et qu'ils ne connaissaient pas encore.

J'avais suivi la fin de la campagne grâce au courrier que m'avait fait parvenir mon ami Greff et je pus ainsi apprécier les exploits du 1er Hussard que ce soit à Tagliamento, peu après ma blessure que par la suite à Neumarkt et Unzmarkt. Puis après l'armistice de Léoben, les batailles contre la république de Venise, responsable du massacre de 400 soldats français à Vérone.

Voir passer devant moi, dans cette cohue indescriptible, mes camarades de combat me fit une drôle d'impression. Un mélange d'orgueil d'appartenir à ce corps d'élite de la cavalerie et de déception de ne pas être à leurs côtés à ce moment-là. Il faut dire que les Parisiennes semblaient apprécier l'uniforme clinquant des hussards et essayaient de s'approcher le plus possible des chevaux pour toucher ces glorieux héros. Alors m'apercevant et s'amusant de la situation, l'adjudant Greff me désignant cria aux femmes qui essayaient d'obtenir ses faveurs:" regardez celui-là, il est des nôtres. Il fut blessé héroïquement au combat. Montrez-lui votre reconnaissance." Aussitôt, alors que mon ami Greff, continuait d'avancer en éclatant de rire, je fus entouré d'une nuée de belles de Paris qui à fort renfort de baisers et attouchements me montrèrent leur reconnaissance. Je ne fus sauvé de l'étouffement que par le passage d'un nouveau régiment qui détourna de moi ces charmantes personnes aussi vite qu'une volée de jeunes moineaux.

Le soir même quand je retrouvai Greff dans une taverne de la capitale, il riait encore de sa blague.

Il me parla longtemps de ces derniers mois de campagne. Des victoires, des peurs, des actes héroïques et des camarades disparus. Il semblait ne jamais pouvoir s'arrêter comme s'il avait besoin de tout raconter, là maintenant, de peur d'en oublier.

Je le regardai, il m'amusait. Accompagné de grands gestes, il revivait ses combats, une lueur d'excitation dans le regard. Il faut dire que la compagnie de la mort attise notre excitation, et raconter cela, la ravive aussitôt.

Enfin rassasié de bière et de souvenirs, il se tut un instant. Son regard parcourait la salle de la taverne comme s'il s'étonnait encore d'être revenu d'Italie et de retrouver une France telle qu'il l'avait laissée. Il me dit encore que le régiment restait ici pour quelque temps et que les combattants de l'armée d'Italie avaient une permission de plusieurs semaines. Il me demanda ce que je comptais faire. Je répondis que je n'en savais rien. Je n'avais aucune envie de repartir dans mon Limousin et penser rester encore quelques jours à Paris.

- Viens avec moi! Me déclara-t-il, le sourire aux lèvres . Je vais dans mon pays, en Picardie. Je te ferai visiter ma campagne. Tu verras, elle est riche et belle. Et la neige la rend encore plus mystérieuse.

Je fus séduit par sa proposition. Rester auprès de mon ami, et découvrir à ses côtés, une région de France où je pourrai savourer la paix me plut. J'acceptai. Honoré poussa un cri de joie, puis en se levant, il me dit dans un rire entendu:

- Nous partirons demain. En attendant, viens, nous allons voir si les Parisiennes sont si friandes de hussards beaux et glorieux.





Nous nous retrouvâmes dans un coche après une nuit où nous dûmes satisfaire les belles de Paris, très attirées par les soldats. Malgré les soubresauts de la route, nous essayâmes de dormir et récupérer de notre nuit légère et réconfortante. Ainsi, le chemin parut plus court et nous descendîmes à Chateau-Thierry, la ville où naquit mon ami. Il y faisait froid en ce matin. Le ciel était d'un blanc laiteux ce qui fit dire à Honoré Greff que la neige serait là avant le soir. Il m'invita à le suivre, sa famille n' habitait pas loin d'ici, dans la rue des Chesneaux.

L'accueil fut au-delà de tout. Sa mère, son père et son jeune frère étaient tous accrochés à son cou, bénissant le ciel de son retour sain et sauf. J'eus droit moi aussi, sous le coup de l'émotion, aux embrassades et aux pleurs.

La soirée se passa auprès de la cheminée, après un bon repas, à raconter une fois encore les péripéties de notre campagne qu'ils avaient déjà lues dans les lettres que leur envoyait Honoré régulièrement.

Le père d'honoré était compagnon charpentier et travaillait pour l'instant au petit manoir, un peu plus loin dans la rue. Le toit avait souffert des dernières intempéries et son propriétaire souhaitait en modifier la charpente. Il nous proposa de l'accompagner le lendemain. D'autant, nous dit-il, que le propriétaire, apprenant le retour d'Honoré, souhaitait le rencontrer. Devant mon étonnement, mon ami m'apprit que le fameux propriétaire était un militaire. Le général de division Brice de Montigny. Il était jusqu'à peu commandant de la maison nationale des militaires invalides, il venait d'être admis au traitement de réforme et se reposait dans son château. Greff ajouta que c'était grâce à lui qu'il était entré dans l'armée et qu'il put se retrouver dans le 1er Hussard. Nous promîmes au père d'honoré de nous joindre à lui et que nous rendrions visite au général.

L'homme était plaisant. Âgé, courbé, mais encore très vif, il nous fit l'honneur de son salon, alors que le père de mon ami préféra partir sur son chantier. C'est à cet instant que je la vis. Elle était là, debout, droite dans une robe au rose plus pâle que le teint de sa peau. Des cheveux blonds réunis délicatement sur son épaule et des yeux bleus qui vous sondaient sans retenue. Elle me souriait et je restais imbécile, immobile et muet. Ce fut la voix de son père qui me fit réagir:

- Angélique, tu peux saluer Honoré qui revient de l'armée d'Italie ( elle le salua d'un mouvement de tête gracieux accompagné d'un sourire qui semblait pourtant m'être encore destiné tant son regard me quitta si peu). Permets-moi de te présenter le capitaine Jacques Bigogne, son ami et lui aussi, glorieux combattants de l'armée du général Bonaparte.

Elle ne s'approcha pas, mais son regard ne me quitta pas tant que je me courbais devant elle pour répondre à son sourire. J'étais conquis et me demandais déjà comment j'allais pouvoir me retrouver seul avec elle. Mon ami Honoré qui semblait avoir perçu mon trouble m'y aida. Il dit au général qu'il allait rejoindre son père et l'aider dans son travail, mais qu'il n'avait pas besoin de moi. Cela dit, il se retira me laissant seul avec le baron et sa fille. Le vieux militaire s'intéressa à moi, m'interrogea sur mon pays, mes origines et, bien sûr, mes faits de guerre.

- Je savais bien que votre nom ne m'était pas totalement étranger, s'illumina le général, on me parla de vous à la maison des invalides. Des anciens de la campagne d'Italie me rapportèrent vos exploits à Arcole. C'était vous ce jeune capitaine qui avait sauvé la vie du général en chef dans les marais.

J'eus beau protester que je ne fus pas le seul à avoir participé à ce sauvetage. Et que très certainement son frère Louis et l'aide de camp Marmont lui furent d'un plus grand secours. Le général baron Brice de Montigny ne voulait rien entendre. Ses yeux pétillaient de fierté, il avait dans sa maison deux authentiques héros de la guerre. Il proposa à sa fille de me faire découvrir les jardins du château, tout en me faisant promettre de revenir le visiter dès le lendemain. Je ne pus refuser et, il faut bien le dire, n'espérais que çà.

Je ne saurais transcrire quel fut le délice de parcourir les allées du domaine avec Angélique qui me parlait des fleurs et des arbres du parc. Je me nourrissais de sa voix et n'écoutais pas vraiment ce qu'elle me disait. Soudain, elle s'arrêta de marcher, me regarda et me dit d'une voix mutine:

- Ainsi, je me promène en compagnie de celui qui sauva la vie d'un grand général et certainement d'un futur grand homme de ce pays.

Je ne sus que répondre. Elle éclata de rire, me prit le bras et posa un simple baiser sur ma joue avant de reprendre notre marche vers le château. Ah que j'ai aimé ses vingt ans en cet instant!

J'appris dans la soirée par la bouche de la mère d'Honoré que le général était veuf depuis peu et que sa fille s'occupait de lui. Elle ajouta que la mère d'Angélique était autrichienne, elle-même, fille d'un général autrichien. Quel pied de nez de la destinée!

Le lendemain, je fus auprès d'Angélique ainsi que le jour suivant puis les jours qui suivirent. J'avais programmé de ne rester chez Honoré que quelques jours, cela faisait bientôt deux semaines que je côtoyais le général et sa fille. Celui-ci me laissait de plus en plus souvent avec elle et au bout de huit jours nous nous déclarâmes notre amour mutuel que nous scellâmes d'un baiser passionné.

Le général semblait ravi et se réjouissait de donner sa fille à un officier français.

La joie fut aussi dans la maison des Greff et Honoré en me tapant dans le dos me félicita de mon choix.

Il me fallait maintenant laisser quelque temps ma bien-aimée pour retourner chez moi, annoncer la grande nouvelle aux miens.

Notre séparation ne fut pas d'une grande tristesse puisque nous savions qu'elle n'était que le préambule à une vie partagée.







Ma mère, comme toujours, ne dit pas un mot, mais elle m'exprima son contentement par ce silence qui était chez elle sa seule réponse à trop d'émotion. Mon père nous avait quittés, il y avait quelques années et j'allai me recueillir sur sa tombe. J'étais le plus jeune d'une fratrie de sept enfants et mes frères et soeurs des quatre coins de France, accueillirent la nouvelle avec grand enthousiasme.

Il fut décidé que le mariage serait célébré à Chateau-Thierry au printemps et qui s'y rendraient ceux qui le pourront. Ainsi, Joseph, médecin à Montpellier me promit de faire le voyage. Antoine, supérieur du grand séminaire de saint Sulpice à Paris accepta de célébrer la cérémonie. Hyacinthe, mon frère, capitaine au 15e chasseur viendrait lui aussi. Seules mes soeurs Anne et Joséphine, mariées et à charge d'enfants ne pourraient se rendre en Picardie. Ma dernière soeur, celle qui fut si proche de moi durant mon enfance avec qui, hormis mon frère Hyacinthe, je partageais mes jeux, me fit venir auprès d'elle à Limoges. Elle était devenue soeur saint Michel et était supérieure des soeurs de saint Alexis.

Quelle joie de la revoir! Son visage enserré dans son voile de religieuse gardait la finesse de ses traits. Ses deux yeux sombres me regardaient avec cette intensité qui finissait par vous faire baisser le regard, mais son sourire, lui, offrait un réconfort et ses bras tendus vers moi m'accueillaient comme elle le fit si souvent.

Nous nous assîmes, côte à côte, les mains dans les mains. Thérése, telle était son prénom avant d'entrer dans les ordres, voulut tout savoir d'Angélique et de mes sentiments envers elle comme si elle craignait que je me précipite sans réflexion dans les mailles d'un amour non partagé. Elle me connaissait si impétueux et parfois si peu raisonnable qu'elle voulait s'assurer de ma sincérité. Je la rassurai sur ce point et lui assurai de la force des sentiments qui nous unissaient désormais Angélique et moi.

Alors, elle m'offrit sa bénédiction, me prit dans ses bras et me raccompagna jusqu'aux portes du couvent. Elle ne pourrait faire le voyage, ses fonctions de mère supérieure l'en empêchaient, mais, par sa prière, me dit-elle, elle serait auprès de nous. Avant de nous quitter, elle me fit promettre de revenir la voir en compagnie de ma femme. Elle souhaitait ardemment connaître sa future belle-soeur. Je repris la route de chez ma mère, le coeur léger et le regard attendri de Thérése lové dans mon âme.





Je retrouvai ma mère dans notre grande maison près de saint Genest au lieu-dit; Jinac. Elle était installée près de la cheminée, emmitouflée dans un énorme châle de laine et essayait de se réchauffer. Le froid avait surgi brutalement et avait recouvert la campagne limousine..

Elle me sourit en me voyant m'approcher. Je m'assis face à elle, lui dit que le froid devenait encore plus intense et qu'il n'allait pas tarder à neiger. Elle me demanda des nouvelles de Thérése et, fixant le feu, devint songeuse. Elle me parla longtemps de mon père, de son courage, de sa volonté au travail ce qui lui permit de développer le domaine. Elle me dit aussi qu'elle essayait de le gérer au mieux en mémoire de lui. Elle espérait qu'un de ses enfants un jour prendrait la suite bien que pour l'instant chacun d'entre eux semblait avoir leur vie ailleurs.

- Peut-être un jour te lasseras-tu de la vie militaire, s'interrogea-t-elle, ou ton frère Hyacinthe ou encore Joseph. Il pourrait venir exercer ici.

Elle repartit dans ses pensées. Je compris bien qu'elle voulait que ce domaine restât dans la famille. Je lui assurai qu'il en serait ainsi d'une façon ou d'une autre.

- Tu comprends le travail ici me prend tout mon temps.

Elle m'annonça ainsi qu'il lui serait difficile d'assister à mon mariage. Qu'elle en était contrite.

Je la rassurais et lui promis qu'une fois mon mariage célébré, je reviendrai auprès d'elle avec Angélique et que nous organiserions une cérémonie et une fête pour tous ceux qui n'auront pas pu se déplacer. Elle me sourit, me demanda de m'approcher d'elle et m'embrassa avec tout l'amour d'une mère. Le lendemain, je reprenais la route de Paris où je devais réintégrer mes quartiers militaires au 1er Hussard.







Arrivé dans notre casernement, je retrouvai avec une joie non dissimulée, mon ami Honoré Greff, d'autant plus qu'il était porteur d'une lettre d'Angélique. Je le laissai précipitamment et m'isolai pour lire les mots tendres et doux que m'écrivait ma bien-aimée. Elle m'y décrivait ses sentiments depuis notre rencontre, son impatience depuis notre séparation et son bonheur de voir bientôt sa vie unie à la mienne. J'étais si heureux de la savoir si proche de moi. Je repliai la lettre et la mis sur mon coeur, sous mon uniforme. Elle m'accompagnerait ainsi à chaque instant de mes journées.

Nous apprîmes que notre régiment était mis en réserve et que de ce fait nous resterions ici en attente, prêts à rejoindre les combats dès que l'ordre nous en sera donné. On parlait d'une expédition en Égypte sous le commandement du général Bonaparte pour bousculer les Anglais et s'ouvrir la voie des Indes. D'autres disaient que le Directoire ne voyait pas d'un très bon oeil la popularité du général Bonaparte et ils l'envoyaient là bas pour l'éloigner des affaires politiques françaises. Quelles qu’en soient les causes véritables, il semblait que notre régiment ne ferait pas partie de la campagne. En d'autres temps, j'aurais fulminé d'être tenu à l'écart des combats, mais là je me réjouissais plutôt. J'allais pouvoir me marier sans inquiétude et profiter de journées de vie commune avec Angélique. Du moins pour un temps. Honoré s'amusait de mon analyse et me prédisait une carrière militaire future plus courte que prévue. Je ne sus que répondre.







La cérémonie de mariage fut une immense fête où mon beau-père, le général Brice de Montigny reçut en tenue d'apparat tous nos invités. Angélique était ravissante et resplendissante de gaieté. Ce jour fut pour moi, après ces années de combat, un havre de bonheur dont il me fut difficile de m'éloigner.

L'année 1798 passa ainsi, auprès de ma ravissante épouse. Nous habitions un appartement à Paris et revenions régulièrement sur Château-Thierry retrouver le général.

Bonaparte était en Égypte où il réussissait, semblait-il, des prouesses face à l'armée britannique. Certains escadrons de notre régiment avaient été envoyés vers l'Italie où une nouvelle coalition avec cette fois-ci la Russie menaçait notre territoire.

Je vis arriver l'année 1799 avec un nouvel enthousiasme. Le bonheur que m'apportait Angélique était total, mais le militaire que j'étais s'impatientait. Le combat me manquait et cette nouvelle menace contre la France ne pouvait me laisser indifférent. Le Directoire ne semblait pas être en mesure de protéger correctement nos frontières et nos soldats subissaient de lourdes pertes dans d'infamantes défaites. Je pestai que nous soyons gardés loin des champs de bataille où notre expérience aurait pu être d'un grand secours. Je croyais que cette année allait se dérouler dans cet état de nonchalance quand le général Bonaparte revint précipitamment d'Égypte et au mois de novembre, participa au renversement du Directoire, mit en place le consulat dont il devint le premier consul. Nous comprîmes très vite que notre inactivité allait cesser, d'autant plus que le premier consul ne put obtenir une paix avec l'Autriche et l'Angleterre. Bonaparte décida d'aller affronter la nouvelle coalition sur les terres d'Italie où elle s'était en partie rassemblée. Et cette fois-ci notre régiment réintégra l'armée en marche.

L'année se terminait et le siècle avec elle. Nous savions, Angélique et moi, que ce printemps 1800 devait être la dernière saison de quiétude, la guerre reprenait ses droits et mon obligation de militaire s'imposait en moi.

Ma séparation avec mon aimée fut douloureuse. Mais fille et petite fille de général, elle savait de trop que l'honneur de la patrie pour un militaire passait avant son bonheur conjugal. Elle me fit promettre de ne pas m'exposer de trop, implora Honoré de me protéger et décida de rejoindre son père à Besançon où il venait d'être nommé commandant de la 6e division militaire.

Le coeur gros, je quittai mon épouse et rejoignis mon régiment qui prenait le chemin de l'Italie. Une nouvelle campagne commençait.

mardi 12 mai 2009

Récit d'un hussard (6)

LA PIAVE


À la suite du général Masséna, nous faisions route à travers les cols italiens pour rejoindre les terres autrichiennes où, forts des renforts qui nous rejoignaient de l'armée du Rhin, nous espérions en finir avec cette armée impériale. La lassitude et l'épuisement se faisaient sentir dans les rangs. Voilà plus d'une année que nous avions quitté le sol français et pour certains leurs femmes et leurs enfants. Nous sentions bien que cette guerre devait arriver à son terme rapidement avant que le moral des fantassins ne vienne les rendre moins combatifs. Nous nous disions que nous arrivions vers la der des ders, la bataille décisive. Celle à ne pas perdre.

Le général Bonaparte nous l'avait proclamé. J'entendais encore chaque mot de sa proclamation au lendemain de la prise de Mantoue:" la prise de Mantoue vient de finir une campagne qui vous a donné des titres éternels à la reconnaissance de la patrie. Vous avez remporté la victoire dans quatorze batailles rangées et soixante-dix combats; vous avez fait plus de cent mille prisonniers, pris à l'ennemi cinq cents canons de campagne, deux mille de gros calibre et quatre équipages de pont. Les républiques lombarde et transpadane vous doivent leur liberté. Les rois de Sardaigne, de Naples, le pape, le duc de Parme, se sont détachés de la coalition de nos ennemis et ont demandé notre amitié. De tant d'ennemis qui se coalisèrent pour étouffer notre république à sa naissance, seul l'empereur d'Autriche reste devant nous; ce prince s'est mis à la solde des marchands de Londres. Il n'est donc plus d'espérance pour la paix qu'en allant la chercher dans le coeur des états héréditaires de la maison d'Autriche. Les habitants y gémissent sous l'aveuglement et l'arbitraire de leur gouvernement corrompu par l'or de l'Angleterre. Vous respecterez leur religion et leurs moeurs; vous protégerez leurs propriétés, vous leur apporterez la liberté, car une fois encore et pour la dernière fois vous vaincrez."

Cette proclamation nous renvoya sur les chemins italiens avec l'enthousiasme d'une armée conquérante, mais épuisée.

Maintenant, nous progressions en direction du col de Tarvis, passage obligé vers Vienne, mais nous savions que l'armée autrichienne allait livrer bataille avant que nous foulions son sol. L'archiduc Charles avait constitué une nouvelle armée et nous attendait au passage de la Piave.

Il y eut quelques escarmouches avant d'arriver face aux troupes du prince autrichien. Ainsi, nous bousculâmes un escadron de la cavalerie ennemie du côté de Lovadina et le poussâmes à traverser la Piave devant laquelle nous nous retrouvâmes avec le gros de l'armée de Masséna. Le général en chef, lui, tentait la traversée de ce même fleuve un peu plus bas.

Malgré le froid et la neige, les fantassins se jetèrent dans l'eau et abordèrent l'autre rive en criant comme des fous pour dominer la peur et l'engourdissement dus à l'eau gelée. La mitraille de l'ennemie coucha bon nombre d'entre eux dans le fleuve, mais n'arrêta pas la hargne de ces hommes qui bondissant hors de l'eau, couraient à l'assaut des lignes autrichiennes. Engageant nos chevaux dans l'eau du fleuve, ceux-ci traversèrent sans attendre, ressentant certainement la froidure sur leurs jambes.

C'est arrivant sur l'autre rive que ma campagne d'Italie se termina. J'eus pour mission de désorganiser la cavalerie ennemie. Je chargeai avec seulement 30 braves auprès de moi. Bien que protégés par un canon qui tirait en mitraille, notre vigueur fit reculer les cavaliers autrichiens. Nous nous apprêtâmes à charger une compagnie d'infanterie croate qui gardait le lieu quand une salve de biscaïen nous accueillit. Je ressentis une énorme douleur au bras, lâchai mes rênes et tombai de cheval risquant de me faire piétiner par mes propres camarades. J'étais déjà inconscient quand j'atteignis le sol. La suite me ramena très loin de l'odeur de poudre qui fut mon dernier souvenir de la bataille. Mon bras droit était salement amoché et les chirurgiens de l'armée réussirent des prouesses pour le sauver. Par la suite, ce bras me fera souffrir et me ramènera toujours vers ce jour d'hiver 1797. L'armée d'Italie allait continuer sa campagne triomphante jusque vers la fin de cette même année. Bonaparte avait réussi des prouesses et nous ne nous doutions pas encore de ce que ce général allait nous réserver pour l'avenir.

En attendant et bien malgré moi, j'étais de retour en France. Je devais patienter plusieurs mois avant de rejoindre le 1er hussard pour d'autres combats.

vendredi 8 mai 2009

Parenthése poétique

Je vous propose, au milieu de cette évocation historique et militaire, une poésie écrite il y a quelques années et qui, je l'espère, vous égayera quelque peu.


LE PREMIER HOMME

Un jour Dieu alla voir l’homme qu’il avait créé
Il le fit s’asseoir et, à l’ombre d’un pommier,
Lui parla d’une idée qui vînt le titiller.
Il proposa à l’homme de ne plus s’ennuyer
De passer ses journées autrement qu’à râler,
D’avoir une compagne qui saurait l’égayer.
L’homme se mit à penser,c’qu’il ne faisait pas souvent
car, dans le paradis, tout vit naturellement.
Il se demanda ce qu’une compagne était,
A quelle chose pouvait-elle ressemblait ?
Un animal, une fleur, peut-être au soleil ?
Il ne connaissait pas deux choses pareilles.
Il interrogea Dieu, voulut en savoir plus.
Mais Dieu n’répondit pas, dans ses pensées, perdu
Car il se demandait quelle genre de beauté
Il pourrait inventer pour l’homme contenter.
Quels étaient donc ses goûts en grâce féminine ?
Les aimait-il rondes ou bien la taille fine ?
L’homme regarda Dieu d’un air éberlué
Quand il lui demanda quelle femme il voulait.
En parlant de femme, de quoi donc il parlait ?
Et Dieu lui expliqua, comment il la voyait
Avec des avantages quelque peu développés
Ce qui rendit l’homme du coup intéressé.
Dieu, dans son atelier, à créer, transpira.
Tandis que l’homme inquiet, faisait les cent pas,
Impatient, désireux de la voir devant lui.
Un bruit dans l’atelier et la porte s’ouvrit.
Apparut à ses yeux, une…chose si belle
Qu’il se mit, ce jour là, à penser au pluriel.
L’homme ne put rien dire, subjugué qu’il était
Par la beauté nouvell’ de la femme créée.
Dieu les prit par la main et les fit se toucher
Puis s’en alla, laissant les deux ainsi serrés.
L’homme ne mit pas longtemps à ouvrir les trésors
Qu’la femme, grâce à Dieu, avait au cœur et au corps.
Et c’ est ainsi, je crois, que naquit le premier
Le premier sentiment de l’homme nouveau né.
Et ce sentiment là fut celui de l’amour
Ce qui pourrait prouver qu’l’homme s’il est parfois lourd,
Grande gueule, casse-pieds peut, par la femme aimée
Et sous son influence, ne pas être si mauvais.

mardi 5 mai 2009

Récit d'un hussard (5)

FIN DE CAMPAGNE

Nous étions maintenant en janvier 1797. Deux mois s'étaient écoulés depuis la victoire d'Arcole. L'état-major autrichien ne s'avouait pas vaincu et s'apprêtait à lancer une nouvelle armée à l'assaut de nos troupes. Tant que la coalition impériale gardait une place en Italie, elle ne renonçait pas au combat. Et cette place s'appelait Mantoue où s'étaient réfugiés le général Wurmser et les rescapés de son armée.

Depuis Arcole, nous avions pourchassé l'ennemi jusque dans les gorges du Tyrol. Puis, le général Bonaparte nous fit prendre position à tous les points stratégiques, ce qui éparpilla énormément notre armée. Le commandement général multipliait les estafettes pour renseigner chaque corps d'armée, jour après jour, de l'évolution de la situation. Bonaparte avait même imaginé prévenir chacun en tirant le canon. Plus le canon tirait de coups, plus la pression ennemie se faisait forte.

Le baron Alvintzy restait le commandant en chef des armées de l'empire et de surcroît, gardait la confiance de Vienne. L'enrôlement dans les villes et les campagnes de l'empire permit de lever une armée de 45 000 hommes. Nous étions presque deux fois moins nombreux, mais malgré l'épuisement dû au combat, toujours désireux de défaire définitivement l'armée ennemie.

Nous étions, au sein de l'armée du général Augereau, cantonnés aux abords de l'Adige.

Nous n'avions plus de communications avec le gros de l'armée d'Italie. Nous avions su que le général Joubert avait dû subir une attaque violente sur ses lignes et qu'il risquait l'encerclement au nord du plateau de Rivoli. Depuis, les estafettes n'arrivaient plus et bien que peu éloignés du lieu supposé de la bataille, nous ne pouvions pas y participer. Positionnés derrière l'Adige aux alentours de Legnagno, nous étions sous la menace de l'armée de Provera.

Le 14 janvier, celui-ci fit donner le canon. Notre campement fut bombardé sans répit pendant plusieurs minutes. Notre artillerie se mit en batterie et répliqua à l'attaque adverse. Pendant ce temps, nous rassemblions nos effets, sellions nos chevaux, prêts à en découdre avec l'ennemi. Nous ne pensions pas qu'il nous attaquerait ainsi, si brutalement, il devait répondre à un ordre de son commandement. Nous étions persuadés que le général Provera devait nous bloquer sur place et nous empêcher de participer à la bataille qui devait engager les gros des troupes vers Rivoli.

Le général Augereau voulut se débarrasser de l'emprise de l'ennemie et décida une contre-attaque vers l'artillerie autrichienne. Cette dernière s'était faite plus discrète et lorsque nous arrivâmes sur les lieux, l'armée de Provera avait disparu. Seuls, quelques pièces d'artillerie et quelques soldats étaient là. Ces derniers se rendant sans livrer bataille.

Notre général fulminait. Il avait été dupé. Nous n'étions pas attaqués, mais ce tir d'artillerie protégeait le départ de l'armée vers une autre destination.

Sans perdre un instant, il décida de se lancer à la poursuite de l'ennemi. Il prit avec lui deux compagnies de régiment, la 2éme et la 5éme et nous demanda de nous mettre en route, le long de la rivière, en direction du nord où il nous attendrait, une fois rejoint le général Provera.

Le général Augereau envoya des estafettes en direction de notre commandement pour s'informer de l'évolution de la bataille.

Sous le commandement de notre chef de brigade, nous avançâmes au rythme d'une armée en campagne, n'allant guère plus vite que ne le pouvaient les bêtes qui tiraient l'artillerie.

Quelques heures plus tard, une estafette vint nous raconter que le général Augereau avait fait la jonction avec la colonne ennemie, à Anghiari, mais que cette dernière, une fois encore, refusa le combat, laissant quelques hommes défendre le village dans le seul but de nous retarder. Le général nous demandait d'accélérer le pas pour l'y rejoindre au plus vite.

En arrivant à Anghiari, située plus haut au bord de l'Adige, nous retrouvâmes le général et ses hommes. Ils semblaient fatigués par leur chevauchée, plus que par le combat. Il n'y avait aucun blessé, seulement auprès d'eux des prisonniers qui paraissaient soulagés d'être encore vivants.

Quelque temps plus tard, alors que nous nous restaurions, nous reçûmes un message du commandement général. Il nous était demandé de rejoindre les forces de la République à Castelnovo.

Nous repartîmes aussitôt et parcourûmes les quelques kilomètres qui nous séparaient de la bourgade.

Arrivés sur place, nous rejoignîmes une partie de l'armée qui avait quitté Rivoli, victorieuse.

Le général Augereau alla immédiatement au rapport auprès de notre général en chef et lui confirma que le général Provera était parti en direction de Mantoue.

Le général Bonaparte nous dit alors:" le temps du repos n'est pas encore arrivé. Nous devons rejoindre Mantoue le plus vite possible et empêcher la jonction entre l'armée de Provera et celle de Wurmser. Après et seulement après, nous mériterons ce repos".

Les rangs se remirent en route au pas accéléré. Je me demandai jusqu'où ces soldats allaient suivre leur chef avant de s'effondrer. Voilà plusieurs jours et plusieurs nuits que ces hommes marchaient et se battaient. Trois victoires en trois jours et plus de cent soixante kilomètres sur des chemins escarpés, et les voila encore prêts à avaler des kilomètres pour livrer, espérons, une ultime bataille. Ils avaient bien mérité le respect de toute l'armée.

Arrivé aux abords de la forteresse de Mantoue, Bonaparte divisa son armée en deux. Une partie pour aider le général Sérurier à maintenir le blocus de la ville, l'autre pour affronter les troupes du général Provéra et empêcher ainsi la jonction.

Pendant que les soldats du 32 éme et du 75éme résistaient aux attaques de l'artillerie autrichienne, prisonnière de Mantoue, nous portions aide aux fantassins de la 57 éme qui sous les ordres du général Victor chargeaient à la baïonnette les rangs ennemis. Ces hommes firent d'énormes dégâts chez les Autrichiens et nos charges successives finirent par tailler en pièce les troupes de la coalition qui s'enfuirent ou se rendirent.

La ville de Mantoue et avec elle le maréchal Wurmser, voyant les renforts décimés, capitula, mettant fin à des mois de combat dans le nord de l'Italie. Le"petit caporal" avait eu raison, les hommes allaient pouvoir se reposer quelques jours.

Dans les jours qui suivirent, nous fûmes chargés de nettoyer les environs des dernières poches de résistance. Cela fut fait.

Mais le général n'allait pas bien. Après la victoire de Mantoue, il s'était alité, assommé de fièvre. Nous attendions que l'on nous annonçât son rétablissement, mais pendant plusieurs jours, les médecins s'inquiétaient surtout de sa survie. Ils craignaient que les fièvres qui ne retombaient pas ne l'emportent. Il fallut plus d'une semaine pour voir apparaître le "petit caporal" devant nous et quelques jours encore pour qu'il soit prêt à nous mener sur d'autres chemins victorieux.

Vers la fin du mois de février, l'armée reposée et restaurée reprenait sa marche. L'Autriche avait confié de nouvelles troupes à l'archiduc Charles. Nous marchions à sa rencontre. Nous devions traverser la Piave, alors que le général Bonaparte prenait la route de Rome avec la division Victor pour mettre au pas l' armée pontificale.

vendredi 1 mai 2009

Récit d'un hussard (4)

LA SUITE


Nous étions au printemps 1796, la douceur, voire la chaleur accompagnait notre avancée sur le territoire italien.

Cette chaleur, d'ailleurs n'était pas sans inconvénient, car elle portait en elle des miasmes venant de tous ces corps qui pourrissaient en plein soleil, faute de temps pour enterrer tous les morts. La guerre est cruelle et souvent inhumaine. Une fièvre commença à s'emparer de certains soldats. Généralement les plus faibles ou les plus fatigués. Certains guérissaient, d'autres mourraient emportés par une toux, crachant glaires et sang.

Cela nous inquiétait, car une épidémie dans une armée en campagne peut la décimer en peu de temps. Nous savions, malgré tout, que cette fièvre frappait aussi le camp adverse. La mort n'avait pas encore choisi son vainqueur.

A la suite du général Murat, nous avons progressé et passant le pont de Borghetto, nous avons mis en déroute la cavalerie napolitaine qui était venue à notre rencontre.

Cet épisode value à mon ami Greff une citation pour avoir fait prisonnier un officier supérieur au plus fort du combat.

Il faut dire que le général Bonaparte avait réussi, encore, un coup stratégique qui dupa les Autrichiens. Ayant été obligés de traverser le Mincio, après leur défaite, les Autrichiens s'étaient installés près de Peschiera sur des positions défensives bien préparées. Mais le "petit caporal " comme nous l'appelions maintenant, décida de longer le cours du Mincio jusqu'à Borghetto où l'armée de la République traversa. Les cavaliers napolitains qui s'y trouvaient furent surpris de voir arriver face à eux autant de soldats et en premier lieu, les hussards qui, sabre au clair, dégagèrent la place en peu de temps. Nous avions profité de l'effet de surprise pour contourner le gros de la troupe et ainsi les encercler. Nous fîmes beaucoup de prisonniers, dont un officier qui se rendit à Honoré Greff.

Le maréchal autrichien Wurmser qui avait pris le commandement des armées impériales en place du général Beaulieu, apprenant où nous nous trouvions, fit l'erreur de séparer son armée en deux.

Bonaparte n'attendait que çà. Il envoya un corps d'armée sous le commandement du général Augereau vers le gros de la troupe avec pour mission de retenir ceux-ci pendant que nous attaquions la colonne la plus faible commandée par le général Quadasnowitch.

Le combat fut bref. Nous nous trouvions pour la première fois en supériorité numérique et les efforts conjugués de l'artillerie, de l'infanterie et de la cavalerie mirent en déroute les Autrichiens qui partirent se réfugier de l'autre côté des montagnes vers Lonato.

Il ne nous restait plus qu'à foncer sur le reste de l'armée impériale et porter secours au général Augereau. D'autre part le général Sérurier qui faisait le siège de Mantoue où s'était réfugiée une partie de l'armée ennemie, devait venir nous rejoindre et attaquer les troupes du maréchal Wurmser par l'arrière.

Lorsque nous approchèrent des lignes autrichiennes, notre général nous commanda de bifurquer vers l'ouest comme si nous entamions une retraite. Les Autrichiens crurent au stratagème et se mirent à nous poursuivre, dégarnissant leurs arrières. L'attaque du général Sérurier qui entra en contact avec eux les désorienta. C'est à ce moment que le général Bonaparte nous fit faire volte-face et attaquer l'ennemie. Ces derniers, pris entre deux armées, rompirent rapidement le combat et s'enfuirent dans les montagnes italiennes. Nous étions vainqueurs, récupérions vivres et armements et étions accueillis dans les villages comme des libérateurs.

La joie de la victoire aurait été totale si mon chef de brigade Bourgon-Duclos n'avait contracté la fièvre et après une agonie d'une nuit mourut en soldat sans plaintes ni larmes.

Après la mort d'un ami, je perdais celui qui m'avait pris auprès de lui et m'avait fait incorporer dans le régiment d'élite de la cavalerie. Je participais à la conquête de l'Italie, mais je le payais cher.

Les privations étaient de nouveau sur nous. Le ravitaillement se faisait très mal. Le comté de Vénitie ne fournissait vivres et équipements que de façon sporadique et le ravitaillement qui venait de France avait toutes les chances de se faire intercepter sur les chemins du Piémont ou de la Lombardie. Nous mangions des rations de plus en plus limitées. Les fantassins voyaient leurs chaussures se dégrader chaque jour sans espoir d'en changer et nos chevaux mourraient, faute de fourrage suffisant. Nous étions les vainqueurs, mais jusqu'à quand ? À ce rythme, çà serait une armée famélique et malade qui devrait combattre. Les rapines et les pillages avaient repris. Les soldats en avaient assez et faute de ravitaillement, ils allaient se servir eux-mêmes dans les maisons, tuant ceux qui leur résistaient et violant les filles trop avenantes. De libérateurs, nous étions devenus des barbares et notre élan républicain ne convainquait plus personne. Notre situation était difficile. Tant de morts et de blessés qui n'étaient pas remplacés, affaiblissant notre glorieuse armée. Bonaparte fulminait contre ce directoire qui ne comprenait pas l'urgence d'acheminer hommes, vivres et équipements.

Nous nous engagions dans les gorges du Tyrol en ce début du mois de septembre. Il était dit dans le campement que nous allions faire la jonction avec l'armée du Rhin et Moselle et foncer sur Vienne. Mais l'ardeur manquait, les privations se faisaient sentir et l'énergie du petit caporal ne suffisait plus à motiver les hommes.

Pourtant, l'ordre nous était donné de porter main forte à l'armée du général Masséna qui venait de traverser le fleuve l'Adige et qui devait combattre l'armée autrichienne du côté de Bassano.

Nous sellâmes nos chevaux valides et partîmes en direction du fleuve. Malgré la fatigue et le terrain escarpé, le goût à la bataille que nous avions, nous redonna la force nécessaire pour attaquer les postes avancées autrichiens. Nous combattions avec volonté contre un ennemi bien armé et mieux nourri. Mais la hargne qui nous habitait faisait des ravages. Et lorsque notre nouveau chef de Brigade Cadoré fut abattu d'un coup de biscaïen dans le dos, notre colère nous rendit sauvages. Cet acte de lâcheté se devait d'être puni. Nous repartîmes à la charge avec une violence inouïe qui nous vit culbuter l'ennemi hors de ses lignes et le pourchasser jusqu'à la rivière où nous fîmes un grand nombre de prisonniers. Une nouvelle victoire pour la cavalerie, mais le 1er hussard était une fois encore orphelin de son chef.

Après avoir participé à l'expulsion de l'artillerie ennemie d'une gorge qu'ils tenaient protégeant la retraite de l'armée et la réunification des armées de Masséna et Vaubois , nous entrâmes à Trente, vidée des soldats impériaux et dont les greniers regorgeaient de nourriture.

Le ventre plein, nous repartîmes en campagne. Il ne fallait pas laisser cette armée autrichienne se recomposer. Nous devions éliminer cette menace. Les paroles du petit caporal furent de nouveau entendues par ses soldats. On entend beaucoup mieux, une fois rassasié. D'autres combats se succédèrent autour de Bassano durant plusieurs jours. Beaucoup de perte, des cris, des plaintes, de la douleur à chaque bataille. Mais nous gagnions. Nous avons coupé en deux l'armée du maréchal Wurmser et ce dernier dut battre en retraite et se réfugier dans Mantoue, abandonnant prisonniers, artillerie et victuailles.

Le repos fut de courte durée. Juste le temps de panser les plaies, nourrir les hommes et les bêtes et la marche reprenait.

Cette campagne était longue. Bientôt une année que nous combattions. Tant de morts et tant de blessés. Beaucoup de nos chefs étaient hors combat, morts avec les honneurs ou blessés et hospitalisés. Les temps étaient difficiles, nous devions continuer à avancer. Conquérir tout le nord de l'Italie et ainsi affaiblir l'empire autrichien. Nous étions les combattants de la liberté et de la fraternité; mais des combattants épuisés. Les renforts arrivaient en trop petit nombre de France, pas suffisamment pour pallier l'absence des morts et des blessés. Devant nous se dressait toujours l'armée ennemie. Toujours combattante, malgré les revers que nous lui avions infligés. L'empire semblait pouvoir obtenir des soldats autant qu'il en voulait. Le baron hongrois Alvinczy avait remplacé le maréchal Wurmser à la tête de la coalition impériale.

C'est ainsi que nous quittâmes Vicence pour rejoindre Bassano. Nous formions avec la 5éme légère, l'avant-garde de l'armée du général Augereau. Après quelques escarmouches et la prise d'un avant-poste autrichien, nous dûmes stopper notre avancée, car les renforts espéraient par le général n'arrivaient pas et l'armée du général Quosdanowich, forte de son nombre, commençait à nous prendre à revers. Le général Masséna de son côté subissait lui aussi d'énormes pertes dans les combats. Le général Bonaparte demanda aux deux armées de se retirer jusqu'à Vérone. Nous y fumes caserné, attendant l'attaque de l'armée autrichienne qui semblait se diriger vers nous. Mais le petit caporal vit les choses autrement. Il laissa trois mille hommes défendre la ville et nous fîmes partir à la nuit pour traverser l'Adige et retourner vers Mantoue. Nous pensions que nous faisions retraite devant l'imposante armée impériale. Mais très vite nous bifurquèrent de nouveau vers l'Adige en nous installant à Ronco . Notre général en chef voulait encercler les forces autrichiennes. Il décida d'envoyer l'armée de Masséna vers Belfiore di Porcile et l'armée d'Augereau à droite vers Arcole. Nous devions traverser l'Adige et ensuite nous rapprocher de la ville, cachée derrière un cours d'eau nommé l'Alpone. Le général Augereau ordonna la mise en marche. Il ne resta à Ronco que le général Vaubois avec quelques escadrons. Nous traversâmes l'Adige sans encombre, mais en arrivant devant Arcole, nous dûmes déchanter. Il n'y avait qu'un pont en bois gardé par l'artillerie autrichienne parfaitement installée et protégée. Par trois fois, le général Augereau ordonna l'assaut du pont et par trois fois nous dûmes battre en retraite tant la mitraille venant de l'autre rive faisait des dégâts importants dans nos rangs. Le résultat n'était pas brillant. Beaucoup de nos camarades étaient tombés dans l'eau, entraînant leurs chevaux avec eux. Beaucoup de morts sur et autour du pont. Beaucoup de blessés qui nous suppliaient de venir les secourir. Ce qui nous était impossible sans risquer de perdre la vie. Vouloir une nouvelle fois forcer le barrage de l'artillerie ennemie entraînerait des pertes irréversibles qui rendraient la suite de la campagne suicidaire.

Le général Augereau préféra patienter et nous ordonna de nous installer près de la rive, à l'abri des armes autrichiennes où nous attendîmes les ordres du commandement en chef. Deux jours plus tard, le général Bonaparte était auprès de nous.

Il fit le tour du campement encourageant de-ci de-là ses soldats fatigués, hirsutes, dépenaillés, mais attachés à leur général en chef qui allait au milieu d'eux. Il rassura les blessés, leur promit le repos et la victoire pour venger tout ce sang versé. La République était en danger et nous devions la sauver.

Arrivé à notre campement, il félicita nos chefs pour notre bravoure sous le feu ennemi, puis, s'approchant du feu où avec Greff, nous nous réchauffions, il nous dit, alors que nous nous mettions au garde à vous :

- Adjudant Greff et capitaine Begougne, je sais votre courage. Ne soyez jamais très loin de moi, demain, je pourrais avoir besoin de vous. Je compte sur vous pour entraîner vos camarades vers la victoire.

Puis il repartit vers d'autres quartiers du camp. Nous restâmes un instant debout, sans mot dire, le regardant s'éloigner. Il nous aurait demandé à cet instant d'attaquer la rive opposée, rien que tous les deux, nous l'aurions fait avec enthousiasme. Je crois que c'est à partir de ce moment là que je fus acquis à la gloire du "petit caporal" et que le lendemain pouvait être mon dernier jour, je le consacrerais à la gloire de la République et de Napoléon Bonaparte.

Mais, malgré l'enthousiasme, nos tentatives suivantes pour prendre possession du pont se soldèrent par des échecs.

Notre général pestait et semblait impatient. Pour la première fois, son plan ne semblait pas vouloir se réaliser. Alors, pris d'une fureur soudaine, il descendit de son cheval, s'empara d'un de nos drapeaux et s'avança vers le pont.

Aussitôt, son état-major se précipita vers lui, alors que les soldats, médusés, restèrent sans réagir.

L'aide de camp se Bonaparte, Muiron, eut juste le temps de faire barrage de son corps avant qu'une salve venue d'en face ne le foudroie sur place. Le désordre était à son comble. Les Adjudants généraux Vignolles et Belliard ainsi que le général Verdier tombèrent blessés près de lui. Les soldats voulurent porter secours à leur chef, mais les tirs autrichiens tuaient tous ceux qui s'avançaient trop sur le pont. Si bien qu'entre ceux qui venaient au secours de l'état-major et ceux qui voulaient revenir en arrière, il y eut une désastreuse bousculade qui vit un grand nombre d'entre eux basculer du pont dans les marais. Et dans la cohue, ils entraînèrent le général Bonaparte à leur suite.

Son frère Louis et les aides de camp Junot et Marmont plongèrent près du général en chef et le protégèrent de leur corps devant la fusillade ennemie qui clouait les pauvres soldats prisonniers des marais.

Nous rappelant des paroles que nous avait dites le général quelques heures auparavant, Greff et moi nous prîmes l'initiative d'amener un cheval près du petit caporal pour qu'il s'extirpe de ce bourbier. Notre initiative n'entraîna pas nos troupes vers la victoire, mais au moins elle sauva notre général en chef.

Celui-ci s'était hissé sur le cheval quand ce dernier perdit l'équilibre et faillit entraîner son cavalier dans les marais. Le sol s'avérait meuble et engloutissait tous ceux qui s'y appuyaient.

Louis, le frère du petit caporal avait agrippé une de ses mains, mais le poids du cheval et du général l'entraînait vers le fond. Alors, l'aide de camp Marmont attrapa le bras de Louis et le tira à lui, tandis que Greff et moi, nous attrapâmes le général en chef et l'aidèrent à sortir de la boue nauséabonde et traître.

Notre artillerie qui avait pris place canonna suffisamment pour nous protéger de la mitraille ennemie et permit le ralliement auprès du général en chef qui, tout crotté et dégageant une odeur pestilentielle, garda son autorité pour ordonner le repli en retrait de ces maudits marais.

Le général Bonaparte un peu plus tard, une fois lavé et changé, nous fit venir auprès de lui. L'aide de camp Marmont était déjà là, au garde-à-vous. Le général nous dit :

- Votre courage m'était acquis. Je vous dois la vie, ainsi qu'à mon frère et à mon pauvre Muiron. Je vous en remercie. Je vous promets que nous allons encore faire de grandes choses où vous pourrez démontrer votre bravoure et votre fidélité à la République. Dès demain, nous emporterons ce passage ou nous mourrons.

Ce soir-là, de retour à notre bivouac, mon ami Greff et moi-même eûmes beaucoup de mal pour trouver le sommeil. Les paroles du général résonnaient dans nos têtes et sans en parler, nous étions persuadés que notre chef avait un plan pour surprendre les Autrichiens.

Mais les deux jours qui suivirent ne furent pas plus heureux. Nous étions de combat du matin au soir. Devant l'impossibilité de prendre possession de ce pont, le général décida d'en construire un autre plus près de l'embouchure de l'Alpone. Mais là encore, la rive était bien gardée et la construction du pont fut impossible.

À l'opposé, le général Masséna, malgré tout, progressait face aux troupes du général Provéra.

Pendant toute la journée suivante, nos fantassins essayèrent d'atteindre l'autre rive, y parvinrent parfois, mais se faisaient repousser selon les mouvements de troupes ennemies. Le village d'Arcole fut même pris par les escadrons du général Gieure à la tombée de la nuit, mais les Autrichiens réussirent à le reconquérir vers les quatre du matin. Nous combattions sans discontinuer de jour et de nuit. Au matin du 17, la situation évoluée peu, le général Masséna semblait s'approcher d'Arcole, alors qu'à l'opposée, le général Augereau devait conquérir chaque mètre de la rive opposée de haute lutte.

Nous étions en réserve devant le pont où plus aucune tentative de traverser n’était envisagée tant que les armées républicaines ne progressaient pas plus vite vers ce fichu village.

Alors, le général Bonaparte appela auprès de lui un lieutenant de ses guides Hercule, lui commanda de remonter l'Adige jusqu'à deux kilomètres, de contourner les marais et d'attaquer les troupes autrichiennes alors, qu'une nouvelle fois nous chargerons sur le pont.

- Et surtout, ajouta-t-il, prenez tous les tambours et toutes les trompettes que vous trouvez et faites sonner la charge.

Encore un coup de génie. Pourtant quand nous vîmes partir cette petite troupe, d'à peine, quelques dizaines d'unités, nous crûmes ne jamais la revoir vivante.

Notre nouvel assaut du pont fut reçu comme les précédents par une pluie de mitraille couchant énormément de nos camarades. Mais bientôt, les choses changèrent. Le son des trompettes de la République se fit entendre jusqu'à nous. L'ennemi, surpris, se crut attaqué par le flanc et, en conséquence, désorganisa son système de défense. La majorité des troupes furent envoyés à la rencontre de cette armée fictive, forte en fait de quelques unités, dégarnissant ainsi le front sud nous permettant de conquérir le pont. De son côté, Augereau profitant de ces mouvements de troupes ennemies progressa, enfonçant les défenses qui le bloquaient depuis la veille. Les Autrichiens commencèrent à entreprendre un repli, se croyant attaqués de toutes parts par nos armées.

Le général Mitrowski qui commandait l'armée d'Arcole, se voyant encerclé, sonna la retraite de ses troupes, laissant pièces d'artillerie et escadrons, dissimulés dans les marais où ils furent faits prisonniers par nos troupes qui entrèrent, ensemble, par les deux côtés du village. D'un côté, l'armée du général Augereau, de l'autre les troupes du général Gardanne, avant garde de l'armée du général Masséna.

Le "petit caporal" avait encore démontré son à propos devant une situation mal engagée.