mardi 12 mai 2009

Récit d'un hussard (6)

LA PIAVE


À la suite du général Masséna, nous faisions route à travers les cols italiens pour rejoindre les terres autrichiennes où, forts des renforts qui nous rejoignaient de l'armée du Rhin, nous espérions en finir avec cette armée impériale. La lassitude et l'épuisement se faisaient sentir dans les rangs. Voilà plus d'une année que nous avions quitté le sol français et pour certains leurs femmes et leurs enfants. Nous sentions bien que cette guerre devait arriver à son terme rapidement avant que le moral des fantassins ne vienne les rendre moins combatifs. Nous nous disions que nous arrivions vers la der des ders, la bataille décisive. Celle à ne pas perdre.

Le général Bonaparte nous l'avait proclamé. J'entendais encore chaque mot de sa proclamation au lendemain de la prise de Mantoue:" la prise de Mantoue vient de finir une campagne qui vous a donné des titres éternels à la reconnaissance de la patrie. Vous avez remporté la victoire dans quatorze batailles rangées et soixante-dix combats; vous avez fait plus de cent mille prisonniers, pris à l'ennemi cinq cents canons de campagne, deux mille de gros calibre et quatre équipages de pont. Les républiques lombarde et transpadane vous doivent leur liberté. Les rois de Sardaigne, de Naples, le pape, le duc de Parme, se sont détachés de la coalition de nos ennemis et ont demandé notre amitié. De tant d'ennemis qui se coalisèrent pour étouffer notre république à sa naissance, seul l'empereur d'Autriche reste devant nous; ce prince s'est mis à la solde des marchands de Londres. Il n'est donc plus d'espérance pour la paix qu'en allant la chercher dans le coeur des états héréditaires de la maison d'Autriche. Les habitants y gémissent sous l'aveuglement et l'arbitraire de leur gouvernement corrompu par l'or de l'Angleterre. Vous respecterez leur religion et leurs moeurs; vous protégerez leurs propriétés, vous leur apporterez la liberté, car une fois encore et pour la dernière fois vous vaincrez."

Cette proclamation nous renvoya sur les chemins italiens avec l'enthousiasme d'une armée conquérante, mais épuisée.

Maintenant, nous progressions en direction du col de Tarvis, passage obligé vers Vienne, mais nous savions que l'armée autrichienne allait livrer bataille avant que nous foulions son sol. L'archiduc Charles avait constitué une nouvelle armée et nous attendait au passage de la Piave.

Il y eut quelques escarmouches avant d'arriver face aux troupes du prince autrichien. Ainsi, nous bousculâmes un escadron de la cavalerie ennemie du côté de Lovadina et le poussâmes à traverser la Piave devant laquelle nous nous retrouvâmes avec le gros de l'armée de Masséna. Le général en chef, lui, tentait la traversée de ce même fleuve un peu plus bas.

Malgré le froid et la neige, les fantassins se jetèrent dans l'eau et abordèrent l'autre rive en criant comme des fous pour dominer la peur et l'engourdissement dus à l'eau gelée. La mitraille de l'ennemie coucha bon nombre d'entre eux dans le fleuve, mais n'arrêta pas la hargne de ces hommes qui bondissant hors de l'eau, couraient à l'assaut des lignes autrichiennes. Engageant nos chevaux dans l'eau du fleuve, ceux-ci traversèrent sans attendre, ressentant certainement la froidure sur leurs jambes.

C'est arrivant sur l'autre rive que ma campagne d'Italie se termina. J'eus pour mission de désorganiser la cavalerie ennemie. Je chargeai avec seulement 30 braves auprès de moi. Bien que protégés par un canon qui tirait en mitraille, notre vigueur fit reculer les cavaliers autrichiens. Nous nous apprêtâmes à charger une compagnie d'infanterie croate qui gardait le lieu quand une salve de biscaïen nous accueillit. Je ressentis une énorme douleur au bras, lâchai mes rênes et tombai de cheval risquant de me faire piétiner par mes propres camarades. J'étais déjà inconscient quand j'atteignis le sol. La suite me ramena très loin de l'odeur de poudre qui fut mon dernier souvenir de la bataille. Mon bras droit était salement amoché et les chirurgiens de l'armée réussirent des prouesses pour le sauver. Par la suite, ce bras me fera souffrir et me ramènera toujours vers ce jour d'hiver 1797. L'armée d'Italie allait continuer sa campagne triomphante jusque vers la fin de cette même année. Bonaparte avait réussi des prouesses et nous ne nous doutions pas encore de ce que ce général allait nous réserver pour l'avenir.

En attendant et bien malgré moi, j'étais de retour en France. Je devais patienter plusieurs mois avant de rejoindre le 1er hussard pour d'autres combats.

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