lundi 18 mai 2009

Récit d'un hussard (7)

LE REPOS DU GUERRIER


Ma convalescence m'amena auprès des miens, dans le pays du Limousin et puis, après quelques mois d'absolue inactivité, je rejoignis Paris où les troupes de l'armée d'Italie, derrière leur général en chef Bonaparte, revenaient après la signature du traité de Campo-formio. Nous étions début décembre 1797 et l'air était encore doux. Leur entrée dans la capitale fut triomphale. Depuis longtemps déjà leurs exploits étaient connus des Parisiens et ces derniers tenaient à voir de plus près ces soldats hirsutes, sales, dépenaillés, mais vainqueurs. Amassés le long des rues, ils aperçurent, aussi, ce jeune général dont ils avaient tant entendu parler et qu'ils ne connaissaient pas encore.

J'avais suivi la fin de la campagne grâce au courrier que m'avait fait parvenir mon ami Greff et je pus ainsi apprécier les exploits du 1er Hussard que ce soit à Tagliamento, peu après ma blessure que par la suite à Neumarkt et Unzmarkt. Puis après l'armistice de Léoben, les batailles contre la république de Venise, responsable du massacre de 400 soldats français à Vérone.

Voir passer devant moi, dans cette cohue indescriptible, mes camarades de combat me fit une drôle d'impression. Un mélange d'orgueil d'appartenir à ce corps d'élite de la cavalerie et de déception de ne pas être à leurs côtés à ce moment-là. Il faut dire que les Parisiennes semblaient apprécier l'uniforme clinquant des hussards et essayaient de s'approcher le plus possible des chevaux pour toucher ces glorieux héros. Alors m'apercevant et s'amusant de la situation, l'adjudant Greff me désignant cria aux femmes qui essayaient d'obtenir ses faveurs:" regardez celui-là, il est des nôtres. Il fut blessé héroïquement au combat. Montrez-lui votre reconnaissance." Aussitôt, alors que mon ami Greff, continuait d'avancer en éclatant de rire, je fus entouré d'une nuée de belles de Paris qui à fort renfort de baisers et attouchements me montrèrent leur reconnaissance. Je ne fus sauvé de l'étouffement que par le passage d'un nouveau régiment qui détourna de moi ces charmantes personnes aussi vite qu'une volée de jeunes moineaux.

Le soir même quand je retrouvai Greff dans une taverne de la capitale, il riait encore de sa blague.

Il me parla longtemps de ces derniers mois de campagne. Des victoires, des peurs, des actes héroïques et des camarades disparus. Il semblait ne jamais pouvoir s'arrêter comme s'il avait besoin de tout raconter, là maintenant, de peur d'en oublier.

Je le regardai, il m'amusait. Accompagné de grands gestes, il revivait ses combats, une lueur d'excitation dans le regard. Il faut dire que la compagnie de la mort attise notre excitation, et raconter cela, la ravive aussitôt.

Enfin rassasié de bière et de souvenirs, il se tut un instant. Son regard parcourait la salle de la taverne comme s'il s'étonnait encore d'être revenu d'Italie et de retrouver une France telle qu'il l'avait laissée. Il me dit encore que le régiment restait ici pour quelque temps et que les combattants de l'armée d'Italie avaient une permission de plusieurs semaines. Il me demanda ce que je comptais faire. Je répondis que je n'en savais rien. Je n'avais aucune envie de repartir dans mon Limousin et penser rester encore quelques jours à Paris.

- Viens avec moi! Me déclara-t-il, le sourire aux lèvres . Je vais dans mon pays, en Picardie. Je te ferai visiter ma campagne. Tu verras, elle est riche et belle. Et la neige la rend encore plus mystérieuse.

Je fus séduit par sa proposition. Rester auprès de mon ami, et découvrir à ses côtés, une région de France où je pourrai savourer la paix me plut. J'acceptai. Honoré poussa un cri de joie, puis en se levant, il me dit dans un rire entendu:

- Nous partirons demain. En attendant, viens, nous allons voir si les Parisiennes sont si friandes de hussards beaux et glorieux.





Nous nous retrouvâmes dans un coche après une nuit où nous dûmes satisfaire les belles de Paris, très attirées par les soldats. Malgré les soubresauts de la route, nous essayâmes de dormir et récupérer de notre nuit légère et réconfortante. Ainsi, le chemin parut plus court et nous descendîmes à Chateau-Thierry, la ville où naquit mon ami. Il y faisait froid en ce matin. Le ciel était d'un blanc laiteux ce qui fit dire à Honoré Greff que la neige serait là avant le soir. Il m'invita à le suivre, sa famille n' habitait pas loin d'ici, dans la rue des Chesneaux.

L'accueil fut au-delà de tout. Sa mère, son père et son jeune frère étaient tous accrochés à son cou, bénissant le ciel de son retour sain et sauf. J'eus droit moi aussi, sous le coup de l'émotion, aux embrassades et aux pleurs.

La soirée se passa auprès de la cheminée, après un bon repas, à raconter une fois encore les péripéties de notre campagne qu'ils avaient déjà lues dans les lettres que leur envoyait Honoré régulièrement.

Le père d'honoré était compagnon charpentier et travaillait pour l'instant au petit manoir, un peu plus loin dans la rue. Le toit avait souffert des dernières intempéries et son propriétaire souhaitait en modifier la charpente. Il nous proposa de l'accompagner le lendemain. D'autant, nous dit-il, que le propriétaire, apprenant le retour d'Honoré, souhaitait le rencontrer. Devant mon étonnement, mon ami m'apprit que le fameux propriétaire était un militaire. Le général de division Brice de Montigny. Il était jusqu'à peu commandant de la maison nationale des militaires invalides, il venait d'être admis au traitement de réforme et se reposait dans son château. Greff ajouta que c'était grâce à lui qu'il était entré dans l'armée et qu'il put se retrouver dans le 1er Hussard. Nous promîmes au père d'honoré de nous joindre à lui et que nous rendrions visite au général.

L'homme était plaisant. Âgé, courbé, mais encore très vif, il nous fit l'honneur de son salon, alors que le père de mon ami préféra partir sur son chantier. C'est à cet instant que je la vis. Elle était là, debout, droite dans une robe au rose plus pâle que le teint de sa peau. Des cheveux blonds réunis délicatement sur son épaule et des yeux bleus qui vous sondaient sans retenue. Elle me souriait et je restais imbécile, immobile et muet. Ce fut la voix de son père qui me fit réagir:

- Angélique, tu peux saluer Honoré qui revient de l'armée d'Italie ( elle le salua d'un mouvement de tête gracieux accompagné d'un sourire qui semblait pourtant m'être encore destiné tant son regard me quitta si peu). Permets-moi de te présenter le capitaine Jacques Bigogne, son ami et lui aussi, glorieux combattants de l'armée du général Bonaparte.

Elle ne s'approcha pas, mais son regard ne me quitta pas tant que je me courbais devant elle pour répondre à son sourire. J'étais conquis et me demandais déjà comment j'allais pouvoir me retrouver seul avec elle. Mon ami Honoré qui semblait avoir perçu mon trouble m'y aida. Il dit au général qu'il allait rejoindre son père et l'aider dans son travail, mais qu'il n'avait pas besoin de moi. Cela dit, il se retira me laissant seul avec le baron et sa fille. Le vieux militaire s'intéressa à moi, m'interrogea sur mon pays, mes origines et, bien sûr, mes faits de guerre.

- Je savais bien que votre nom ne m'était pas totalement étranger, s'illumina le général, on me parla de vous à la maison des invalides. Des anciens de la campagne d'Italie me rapportèrent vos exploits à Arcole. C'était vous ce jeune capitaine qui avait sauvé la vie du général en chef dans les marais.

J'eus beau protester que je ne fus pas le seul à avoir participé à ce sauvetage. Et que très certainement son frère Louis et l'aide de camp Marmont lui furent d'un plus grand secours. Le général baron Brice de Montigny ne voulait rien entendre. Ses yeux pétillaient de fierté, il avait dans sa maison deux authentiques héros de la guerre. Il proposa à sa fille de me faire découvrir les jardins du château, tout en me faisant promettre de revenir le visiter dès le lendemain. Je ne pus refuser et, il faut bien le dire, n'espérais que çà.

Je ne saurais transcrire quel fut le délice de parcourir les allées du domaine avec Angélique qui me parlait des fleurs et des arbres du parc. Je me nourrissais de sa voix et n'écoutais pas vraiment ce qu'elle me disait. Soudain, elle s'arrêta de marcher, me regarda et me dit d'une voix mutine:

- Ainsi, je me promène en compagnie de celui qui sauva la vie d'un grand général et certainement d'un futur grand homme de ce pays.

Je ne sus que répondre. Elle éclata de rire, me prit le bras et posa un simple baiser sur ma joue avant de reprendre notre marche vers le château. Ah que j'ai aimé ses vingt ans en cet instant!

J'appris dans la soirée par la bouche de la mère d'Honoré que le général était veuf depuis peu et que sa fille s'occupait de lui. Elle ajouta que la mère d'Angélique était autrichienne, elle-même, fille d'un général autrichien. Quel pied de nez de la destinée!

Le lendemain, je fus auprès d'Angélique ainsi que le jour suivant puis les jours qui suivirent. J'avais programmé de ne rester chez Honoré que quelques jours, cela faisait bientôt deux semaines que je côtoyais le général et sa fille. Celui-ci me laissait de plus en plus souvent avec elle et au bout de huit jours nous nous déclarâmes notre amour mutuel que nous scellâmes d'un baiser passionné.

Le général semblait ravi et se réjouissait de donner sa fille à un officier français.

La joie fut aussi dans la maison des Greff et Honoré en me tapant dans le dos me félicita de mon choix.

Il me fallait maintenant laisser quelque temps ma bien-aimée pour retourner chez moi, annoncer la grande nouvelle aux miens.

Notre séparation ne fut pas d'une grande tristesse puisque nous savions qu'elle n'était que le préambule à une vie partagée.







Ma mère, comme toujours, ne dit pas un mot, mais elle m'exprima son contentement par ce silence qui était chez elle sa seule réponse à trop d'émotion. Mon père nous avait quittés, il y avait quelques années et j'allai me recueillir sur sa tombe. J'étais le plus jeune d'une fratrie de sept enfants et mes frères et soeurs des quatre coins de France, accueillirent la nouvelle avec grand enthousiasme.

Il fut décidé que le mariage serait célébré à Chateau-Thierry au printemps et qui s'y rendraient ceux qui le pourront. Ainsi, Joseph, médecin à Montpellier me promit de faire le voyage. Antoine, supérieur du grand séminaire de saint Sulpice à Paris accepta de célébrer la cérémonie. Hyacinthe, mon frère, capitaine au 15e chasseur viendrait lui aussi. Seules mes soeurs Anne et Joséphine, mariées et à charge d'enfants ne pourraient se rendre en Picardie. Ma dernière soeur, celle qui fut si proche de moi durant mon enfance avec qui, hormis mon frère Hyacinthe, je partageais mes jeux, me fit venir auprès d'elle à Limoges. Elle était devenue soeur saint Michel et était supérieure des soeurs de saint Alexis.

Quelle joie de la revoir! Son visage enserré dans son voile de religieuse gardait la finesse de ses traits. Ses deux yeux sombres me regardaient avec cette intensité qui finissait par vous faire baisser le regard, mais son sourire, lui, offrait un réconfort et ses bras tendus vers moi m'accueillaient comme elle le fit si souvent.

Nous nous assîmes, côte à côte, les mains dans les mains. Thérése, telle était son prénom avant d'entrer dans les ordres, voulut tout savoir d'Angélique et de mes sentiments envers elle comme si elle craignait que je me précipite sans réflexion dans les mailles d'un amour non partagé. Elle me connaissait si impétueux et parfois si peu raisonnable qu'elle voulait s'assurer de ma sincérité. Je la rassurai sur ce point et lui assurai de la force des sentiments qui nous unissaient désormais Angélique et moi.

Alors, elle m'offrit sa bénédiction, me prit dans ses bras et me raccompagna jusqu'aux portes du couvent. Elle ne pourrait faire le voyage, ses fonctions de mère supérieure l'en empêchaient, mais, par sa prière, me dit-elle, elle serait auprès de nous. Avant de nous quitter, elle me fit promettre de revenir la voir en compagnie de ma femme. Elle souhaitait ardemment connaître sa future belle-soeur. Je repris la route de chez ma mère, le coeur léger et le regard attendri de Thérése lové dans mon âme.





Je retrouvai ma mère dans notre grande maison près de saint Genest au lieu-dit; Jinac. Elle était installée près de la cheminée, emmitouflée dans un énorme châle de laine et essayait de se réchauffer. Le froid avait surgi brutalement et avait recouvert la campagne limousine..

Elle me sourit en me voyant m'approcher. Je m'assis face à elle, lui dit que le froid devenait encore plus intense et qu'il n'allait pas tarder à neiger. Elle me demanda des nouvelles de Thérése et, fixant le feu, devint songeuse. Elle me parla longtemps de mon père, de son courage, de sa volonté au travail ce qui lui permit de développer le domaine. Elle me dit aussi qu'elle essayait de le gérer au mieux en mémoire de lui. Elle espérait qu'un de ses enfants un jour prendrait la suite bien que pour l'instant chacun d'entre eux semblait avoir leur vie ailleurs.

- Peut-être un jour te lasseras-tu de la vie militaire, s'interrogea-t-elle, ou ton frère Hyacinthe ou encore Joseph. Il pourrait venir exercer ici.

Elle repartit dans ses pensées. Je compris bien qu'elle voulait que ce domaine restât dans la famille. Je lui assurai qu'il en serait ainsi d'une façon ou d'une autre.

- Tu comprends le travail ici me prend tout mon temps.

Elle m'annonça ainsi qu'il lui serait difficile d'assister à mon mariage. Qu'elle en était contrite.

Je la rassurais et lui promis qu'une fois mon mariage célébré, je reviendrai auprès d'elle avec Angélique et que nous organiserions une cérémonie et une fête pour tous ceux qui n'auront pas pu se déplacer. Elle me sourit, me demanda de m'approcher d'elle et m'embrassa avec tout l'amour d'une mère. Le lendemain, je reprenais la route de Paris où je devais réintégrer mes quartiers militaires au 1er Hussard.







Arrivé dans notre casernement, je retrouvai avec une joie non dissimulée, mon ami Honoré Greff, d'autant plus qu'il était porteur d'une lettre d'Angélique. Je le laissai précipitamment et m'isolai pour lire les mots tendres et doux que m'écrivait ma bien-aimée. Elle m'y décrivait ses sentiments depuis notre rencontre, son impatience depuis notre séparation et son bonheur de voir bientôt sa vie unie à la mienne. J'étais si heureux de la savoir si proche de moi. Je repliai la lettre et la mis sur mon coeur, sous mon uniforme. Elle m'accompagnerait ainsi à chaque instant de mes journées.

Nous apprîmes que notre régiment était mis en réserve et que de ce fait nous resterions ici en attente, prêts à rejoindre les combats dès que l'ordre nous en sera donné. On parlait d'une expédition en Égypte sous le commandement du général Bonaparte pour bousculer les Anglais et s'ouvrir la voie des Indes. D'autres disaient que le Directoire ne voyait pas d'un très bon oeil la popularité du général Bonaparte et ils l'envoyaient là bas pour l'éloigner des affaires politiques françaises. Quelles qu’en soient les causes véritables, il semblait que notre régiment ne ferait pas partie de la campagne. En d'autres temps, j'aurais fulminé d'être tenu à l'écart des combats, mais là je me réjouissais plutôt. J'allais pouvoir me marier sans inquiétude et profiter de journées de vie commune avec Angélique. Du moins pour un temps. Honoré s'amusait de mon analyse et me prédisait une carrière militaire future plus courte que prévue. Je ne sus que répondre.







La cérémonie de mariage fut une immense fête où mon beau-père, le général Brice de Montigny reçut en tenue d'apparat tous nos invités. Angélique était ravissante et resplendissante de gaieté. Ce jour fut pour moi, après ces années de combat, un havre de bonheur dont il me fut difficile de m'éloigner.

L'année 1798 passa ainsi, auprès de ma ravissante épouse. Nous habitions un appartement à Paris et revenions régulièrement sur Château-Thierry retrouver le général.

Bonaparte était en Égypte où il réussissait, semblait-il, des prouesses face à l'armée britannique. Certains escadrons de notre régiment avaient été envoyés vers l'Italie où une nouvelle coalition avec cette fois-ci la Russie menaçait notre territoire.

Je vis arriver l'année 1799 avec un nouvel enthousiasme. Le bonheur que m'apportait Angélique était total, mais le militaire que j'étais s'impatientait. Le combat me manquait et cette nouvelle menace contre la France ne pouvait me laisser indifférent. Le Directoire ne semblait pas être en mesure de protéger correctement nos frontières et nos soldats subissaient de lourdes pertes dans d'infamantes défaites. Je pestai que nous soyons gardés loin des champs de bataille où notre expérience aurait pu être d'un grand secours. Je croyais que cette année allait se dérouler dans cet état de nonchalance quand le général Bonaparte revint précipitamment d'Égypte et au mois de novembre, participa au renversement du Directoire, mit en place le consulat dont il devint le premier consul. Nous comprîmes très vite que notre inactivité allait cesser, d'autant plus que le premier consul ne put obtenir une paix avec l'Autriche et l'Angleterre. Bonaparte décida d'aller affronter la nouvelle coalition sur les terres d'Italie où elle s'était en partie rassemblée. Et cette fois-ci notre régiment réintégra l'armée en marche.

L'année se terminait et le siècle avec elle. Nous savions, Angélique et moi, que ce printemps 1800 devait être la dernière saison de quiétude, la guerre reprenait ses droits et mon obligation de militaire s'imposait en moi.

Ma séparation avec mon aimée fut douloureuse. Mais fille et petite fille de général, elle savait de trop que l'honneur de la patrie pour un militaire passait avant son bonheur conjugal. Elle me fit promettre de ne pas m'exposer de trop, implora Honoré de me protéger et décida de rejoindre son père à Besançon où il venait d'être nommé commandant de la 6e division militaire.

Le coeur gros, je quittai mon épouse et rejoignis mon régiment qui prenait le chemin de l'Italie. Une nouvelle campagne commençait.

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