vendredi 1 mai 2009

Récit d'un hussard (4)

LA SUITE


Nous étions au printemps 1796, la douceur, voire la chaleur accompagnait notre avancée sur le territoire italien.

Cette chaleur, d'ailleurs n'était pas sans inconvénient, car elle portait en elle des miasmes venant de tous ces corps qui pourrissaient en plein soleil, faute de temps pour enterrer tous les morts. La guerre est cruelle et souvent inhumaine. Une fièvre commença à s'emparer de certains soldats. Généralement les plus faibles ou les plus fatigués. Certains guérissaient, d'autres mourraient emportés par une toux, crachant glaires et sang.

Cela nous inquiétait, car une épidémie dans une armée en campagne peut la décimer en peu de temps. Nous savions, malgré tout, que cette fièvre frappait aussi le camp adverse. La mort n'avait pas encore choisi son vainqueur.

A la suite du général Murat, nous avons progressé et passant le pont de Borghetto, nous avons mis en déroute la cavalerie napolitaine qui était venue à notre rencontre.

Cet épisode value à mon ami Greff une citation pour avoir fait prisonnier un officier supérieur au plus fort du combat.

Il faut dire que le général Bonaparte avait réussi, encore, un coup stratégique qui dupa les Autrichiens. Ayant été obligés de traverser le Mincio, après leur défaite, les Autrichiens s'étaient installés près de Peschiera sur des positions défensives bien préparées. Mais le "petit caporal " comme nous l'appelions maintenant, décida de longer le cours du Mincio jusqu'à Borghetto où l'armée de la République traversa. Les cavaliers napolitains qui s'y trouvaient furent surpris de voir arriver face à eux autant de soldats et en premier lieu, les hussards qui, sabre au clair, dégagèrent la place en peu de temps. Nous avions profité de l'effet de surprise pour contourner le gros de la troupe et ainsi les encercler. Nous fîmes beaucoup de prisonniers, dont un officier qui se rendit à Honoré Greff.

Le maréchal autrichien Wurmser qui avait pris le commandement des armées impériales en place du général Beaulieu, apprenant où nous nous trouvions, fit l'erreur de séparer son armée en deux.

Bonaparte n'attendait que çà. Il envoya un corps d'armée sous le commandement du général Augereau vers le gros de la troupe avec pour mission de retenir ceux-ci pendant que nous attaquions la colonne la plus faible commandée par le général Quadasnowitch.

Le combat fut bref. Nous nous trouvions pour la première fois en supériorité numérique et les efforts conjugués de l'artillerie, de l'infanterie et de la cavalerie mirent en déroute les Autrichiens qui partirent se réfugier de l'autre côté des montagnes vers Lonato.

Il ne nous restait plus qu'à foncer sur le reste de l'armée impériale et porter secours au général Augereau. D'autre part le général Sérurier qui faisait le siège de Mantoue où s'était réfugiée une partie de l'armée ennemie, devait venir nous rejoindre et attaquer les troupes du maréchal Wurmser par l'arrière.

Lorsque nous approchèrent des lignes autrichiennes, notre général nous commanda de bifurquer vers l'ouest comme si nous entamions une retraite. Les Autrichiens crurent au stratagème et se mirent à nous poursuivre, dégarnissant leurs arrières. L'attaque du général Sérurier qui entra en contact avec eux les désorienta. C'est à ce moment que le général Bonaparte nous fit faire volte-face et attaquer l'ennemie. Ces derniers, pris entre deux armées, rompirent rapidement le combat et s'enfuirent dans les montagnes italiennes. Nous étions vainqueurs, récupérions vivres et armements et étions accueillis dans les villages comme des libérateurs.

La joie de la victoire aurait été totale si mon chef de brigade Bourgon-Duclos n'avait contracté la fièvre et après une agonie d'une nuit mourut en soldat sans plaintes ni larmes.

Après la mort d'un ami, je perdais celui qui m'avait pris auprès de lui et m'avait fait incorporer dans le régiment d'élite de la cavalerie. Je participais à la conquête de l'Italie, mais je le payais cher.

Les privations étaient de nouveau sur nous. Le ravitaillement se faisait très mal. Le comté de Vénitie ne fournissait vivres et équipements que de façon sporadique et le ravitaillement qui venait de France avait toutes les chances de se faire intercepter sur les chemins du Piémont ou de la Lombardie. Nous mangions des rations de plus en plus limitées. Les fantassins voyaient leurs chaussures se dégrader chaque jour sans espoir d'en changer et nos chevaux mourraient, faute de fourrage suffisant. Nous étions les vainqueurs, mais jusqu'à quand ? À ce rythme, çà serait une armée famélique et malade qui devrait combattre. Les rapines et les pillages avaient repris. Les soldats en avaient assez et faute de ravitaillement, ils allaient se servir eux-mêmes dans les maisons, tuant ceux qui leur résistaient et violant les filles trop avenantes. De libérateurs, nous étions devenus des barbares et notre élan républicain ne convainquait plus personne. Notre situation était difficile. Tant de morts et de blessés qui n'étaient pas remplacés, affaiblissant notre glorieuse armée. Bonaparte fulminait contre ce directoire qui ne comprenait pas l'urgence d'acheminer hommes, vivres et équipements.

Nous nous engagions dans les gorges du Tyrol en ce début du mois de septembre. Il était dit dans le campement que nous allions faire la jonction avec l'armée du Rhin et Moselle et foncer sur Vienne. Mais l'ardeur manquait, les privations se faisaient sentir et l'énergie du petit caporal ne suffisait plus à motiver les hommes.

Pourtant, l'ordre nous était donné de porter main forte à l'armée du général Masséna qui venait de traverser le fleuve l'Adige et qui devait combattre l'armée autrichienne du côté de Bassano.

Nous sellâmes nos chevaux valides et partîmes en direction du fleuve. Malgré la fatigue et le terrain escarpé, le goût à la bataille que nous avions, nous redonna la force nécessaire pour attaquer les postes avancées autrichiens. Nous combattions avec volonté contre un ennemi bien armé et mieux nourri. Mais la hargne qui nous habitait faisait des ravages. Et lorsque notre nouveau chef de Brigade Cadoré fut abattu d'un coup de biscaïen dans le dos, notre colère nous rendit sauvages. Cet acte de lâcheté se devait d'être puni. Nous repartîmes à la charge avec une violence inouïe qui nous vit culbuter l'ennemi hors de ses lignes et le pourchasser jusqu'à la rivière où nous fîmes un grand nombre de prisonniers. Une nouvelle victoire pour la cavalerie, mais le 1er hussard était une fois encore orphelin de son chef.

Après avoir participé à l'expulsion de l'artillerie ennemie d'une gorge qu'ils tenaient protégeant la retraite de l'armée et la réunification des armées de Masséna et Vaubois , nous entrâmes à Trente, vidée des soldats impériaux et dont les greniers regorgeaient de nourriture.

Le ventre plein, nous repartîmes en campagne. Il ne fallait pas laisser cette armée autrichienne se recomposer. Nous devions éliminer cette menace. Les paroles du petit caporal furent de nouveau entendues par ses soldats. On entend beaucoup mieux, une fois rassasié. D'autres combats se succédèrent autour de Bassano durant plusieurs jours. Beaucoup de perte, des cris, des plaintes, de la douleur à chaque bataille. Mais nous gagnions. Nous avons coupé en deux l'armée du maréchal Wurmser et ce dernier dut battre en retraite et se réfugier dans Mantoue, abandonnant prisonniers, artillerie et victuailles.

Le repos fut de courte durée. Juste le temps de panser les plaies, nourrir les hommes et les bêtes et la marche reprenait.

Cette campagne était longue. Bientôt une année que nous combattions. Tant de morts et tant de blessés. Beaucoup de nos chefs étaient hors combat, morts avec les honneurs ou blessés et hospitalisés. Les temps étaient difficiles, nous devions continuer à avancer. Conquérir tout le nord de l'Italie et ainsi affaiblir l'empire autrichien. Nous étions les combattants de la liberté et de la fraternité; mais des combattants épuisés. Les renforts arrivaient en trop petit nombre de France, pas suffisamment pour pallier l'absence des morts et des blessés. Devant nous se dressait toujours l'armée ennemie. Toujours combattante, malgré les revers que nous lui avions infligés. L'empire semblait pouvoir obtenir des soldats autant qu'il en voulait. Le baron hongrois Alvinczy avait remplacé le maréchal Wurmser à la tête de la coalition impériale.

C'est ainsi que nous quittâmes Vicence pour rejoindre Bassano. Nous formions avec la 5éme légère, l'avant-garde de l'armée du général Augereau. Après quelques escarmouches et la prise d'un avant-poste autrichien, nous dûmes stopper notre avancée, car les renforts espéraient par le général n'arrivaient pas et l'armée du général Quosdanowich, forte de son nombre, commençait à nous prendre à revers. Le général Masséna de son côté subissait lui aussi d'énormes pertes dans les combats. Le général Bonaparte demanda aux deux armées de se retirer jusqu'à Vérone. Nous y fumes caserné, attendant l'attaque de l'armée autrichienne qui semblait se diriger vers nous. Mais le petit caporal vit les choses autrement. Il laissa trois mille hommes défendre la ville et nous fîmes partir à la nuit pour traverser l'Adige et retourner vers Mantoue. Nous pensions que nous faisions retraite devant l'imposante armée impériale. Mais très vite nous bifurquèrent de nouveau vers l'Adige en nous installant à Ronco . Notre général en chef voulait encercler les forces autrichiennes. Il décida d'envoyer l'armée de Masséna vers Belfiore di Porcile et l'armée d'Augereau à droite vers Arcole. Nous devions traverser l'Adige et ensuite nous rapprocher de la ville, cachée derrière un cours d'eau nommé l'Alpone. Le général Augereau ordonna la mise en marche. Il ne resta à Ronco que le général Vaubois avec quelques escadrons. Nous traversâmes l'Adige sans encombre, mais en arrivant devant Arcole, nous dûmes déchanter. Il n'y avait qu'un pont en bois gardé par l'artillerie autrichienne parfaitement installée et protégée. Par trois fois, le général Augereau ordonna l'assaut du pont et par trois fois nous dûmes battre en retraite tant la mitraille venant de l'autre rive faisait des dégâts importants dans nos rangs. Le résultat n'était pas brillant. Beaucoup de nos camarades étaient tombés dans l'eau, entraînant leurs chevaux avec eux. Beaucoup de morts sur et autour du pont. Beaucoup de blessés qui nous suppliaient de venir les secourir. Ce qui nous était impossible sans risquer de perdre la vie. Vouloir une nouvelle fois forcer le barrage de l'artillerie ennemie entraînerait des pertes irréversibles qui rendraient la suite de la campagne suicidaire.

Le général Augereau préféra patienter et nous ordonna de nous installer près de la rive, à l'abri des armes autrichiennes où nous attendîmes les ordres du commandement en chef. Deux jours plus tard, le général Bonaparte était auprès de nous.

Il fit le tour du campement encourageant de-ci de-là ses soldats fatigués, hirsutes, dépenaillés, mais attachés à leur général en chef qui allait au milieu d'eux. Il rassura les blessés, leur promit le repos et la victoire pour venger tout ce sang versé. La République était en danger et nous devions la sauver.

Arrivé à notre campement, il félicita nos chefs pour notre bravoure sous le feu ennemi, puis, s'approchant du feu où avec Greff, nous nous réchauffions, il nous dit, alors que nous nous mettions au garde à vous :

- Adjudant Greff et capitaine Begougne, je sais votre courage. Ne soyez jamais très loin de moi, demain, je pourrais avoir besoin de vous. Je compte sur vous pour entraîner vos camarades vers la victoire.

Puis il repartit vers d'autres quartiers du camp. Nous restâmes un instant debout, sans mot dire, le regardant s'éloigner. Il nous aurait demandé à cet instant d'attaquer la rive opposée, rien que tous les deux, nous l'aurions fait avec enthousiasme. Je crois que c'est à partir de ce moment là que je fus acquis à la gloire du "petit caporal" et que le lendemain pouvait être mon dernier jour, je le consacrerais à la gloire de la République et de Napoléon Bonaparte.

Mais, malgré l'enthousiasme, nos tentatives suivantes pour prendre possession du pont se soldèrent par des échecs.

Notre général pestait et semblait impatient. Pour la première fois, son plan ne semblait pas vouloir se réaliser. Alors, pris d'une fureur soudaine, il descendit de son cheval, s'empara d'un de nos drapeaux et s'avança vers le pont.

Aussitôt, son état-major se précipita vers lui, alors que les soldats, médusés, restèrent sans réagir.

L'aide de camp se Bonaparte, Muiron, eut juste le temps de faire barrage de son corps avant qu'une salve venue d'en face ne le foudroie sur place. Le désordre était à son comble. Les Adjudants généraux Vignolles et Belliard ainsi que le général Verdier tombèrent blessés près de lui. Les soldats voulurent porter secours à leur chef, mais les tirs autrichiens tuaient tous ceux qui s'avançaient trop sur le pont. Si bien qu'entre ceux qui venaient au secours de l'état-major et ceux qui voulaient revenir en arrière, il y eut une désastreuse bousculade qui vit un grand nombre d'entre eux basculer du pont dans les marais. Et dans la cohue, ils entraînèrent le général Bonaparte à leur suite.

Son frère Louis et les aides de camp Junot et Marmont plongèrent près du général en chef et le protégèrent de leur corps devant la fusillade ennemie qui clouait les pauvres soldats prisonniers des marais.

Nous rappelant des paroles que nous avait dites le général quelques heures auparavant, Greff et moi nous prîmes l'initiative d'amener un cheval près du petit caporal pour qu'il s'extirpe de ce bourbier. Notre initiative n'entraîna pas nos troupes vers la victoire, mais au moins elle sauva notre général en chef.

Celui-ci s'était hissé sur le cheval quand ce dernier perdit l'équilibre et faillit entraîner son cavalier dans les marais. Le sol s'avérait meuble et engloutissait tous ceux qui s'y appuyaient.

Louis, le frère du petit caporal avait agrippé une de ses mains, mais le poids du cheval et du général l'entraînait vers le fond. Alors, l'aide de camp Marmont attrapa le bras de Louis et le tira à lui, tandis que Greff et moi, nous attrapâmes le général en chef et l'aidèrent à sortir de la boue nauséabonde et traître.

Notre artillerie qui avait pris place canonna suffisamment pour nous protéger de la mitraille ennemie et permit le ralliement auprès du général en chef qui, tout crotté et dégageant une odeur pestilentielle, garda son autorité pour ordonner le repli en retrait de ces maudits marais.

Le général Bonaparte un peu plus tard, une fois lavé et changé, nous fit venir auprès de lui. L'aide de camp Marmont était déjà là, au garde-à-vous. Le général nous dit :

- Votre courage m'était acquis. Je vous dois la vie, ainsi qu'à mon frère et à mon pauvre Muiron. Je vous en remercie. Je vous promets que nous allons encore faire de grandes choses où vous pourrez démontrer votre bravoure et votre fidélité à la République. Dès demain, nous emporterons ce passage ou nous mourrons.

Ce soir-là, de retour à notre bivouac, mon ami Greff et moi-même eûmes beaucoup de mal pour trouver le sommeil. Les paroles du général résonnaient dans nos têtes et sans en parler, nous étions persuadés que notre chef avait un plan pour surprendre les Autrichiens.

Mais les deux jours qui suivirent ne furent pas plus heureux. Nous étions de combat du matin au soir. Devant l'impossibilité de prendre possession de ce pont, le général décida d'en construire un autre plus près de l'embouchure de l'Alpone. Mais là encore, la rive était bien gardée et la construction du pont fut impossible.

À l'opposé, le général Masséna, malgré tout, progressait face aux troupes du général Provéra.

Pendant toute la journée suivante, nos fantassins essayèrent d'atteindre l'autre rive, y parvinrent parfois, mais se faisaient repousser selon les mouvements de troupes ennemies. Le village d'Arcole fut même pris par les escadrons du général Gieure à la tombée de la nuit, mais les Autrichiens réussirent à le reconquérir vers les quatre du matin. Nous combattions sans discontinuer de jour et de nuit. Au matin du 17, la situation évoluée peu, le général Masséna semblait s'approcher d'Arcole, alors qu'à l'opposée, le général Augereau devait conquérir chaque mètre de la rive opposée de haute lutte.

Nous étions en réserve devant le pont où plus aucune tentative de traverser n’était envisagée tant que les armées républicaines ne progressaient pas plus vite vers ce fichu village.

Alors, le général Bonaparte appela auprès de lui un lieutenant de ses guides Hercule, lui commanda de remonter l'Adige jusqu'à deux kilomètres, de contourner les marais et d'attaquer les troupes autrichiennes alors, qu'une nouvelle fois nous chargerons sur le pont.

- Et surtout, ajouta-t-il, prenez tous les tambours et toutes les trompettes que vous trouvez et faites sonner la charge.

Encore un coup de génie. Pourtant quand nous vîmes partir cette petite troupe, d'à peine, quelques dizaines d'unités, nous crûmes ne jamais la revoir vivante.

Notre nouvel assaut du pont fut reçu comme les précédents par une pluie de mitraille couchant énormément de nos camarades. Mais bientôt, les choses changèrent. Le son des trompettes de la République se fit entendre jusqu'à nous. L'ennemi, surpris, se crut attaqué par le flanc et, en conséquence, désorganisa son système de défense. La majorité des troupes furent envoyés à la rencontre de cette armée fictive, forte en fait de quelques unités, dégarnissant ainsi le front sud nous permettant de conquérir le pont. De son côté, Augereau profitant de ces mouvements de troupes ennemies progressa, enfonçant les défenses qui le bloquaient depuis la veille. Les Autrichiens commencèrent à entreprendre un repli, se croyant attaqués de toutes parts par nos armées.

Le général Mitrowski qui commandait l'armée d'Arcole, se voyant encerclé, sonna la retraite de ses troupes, laissant pièces d'artillerie et escadrons, dissimulés dans les marais où ils furent faits prisonniers par nos troupes qui entrèrent, ensemble, par les deux côtés du village. D'un côté, l'armée du général Augereau, de l'autre les troupes du général Gardanne, avant garde de l'armée du général Masséna.

Le "petit caporal" avait encore démontré son à propos devant une situation mal engagée.

1 commentaire: