mercredi 22 avril 2009

Récit d'un hussard (2)

LE PLATEAU DE SAINT — GERMAIN

Au bout de la route en lacets, caché par la forêt de sapins, se trouvait le village de Saint-Germain et au-delà un large plateau herbeux. Les Piémontais qui battaient en retraite depuis plusieurs jours avaient stoppé là, espérant, soi-disant, des renforts. Nous devions les affronter sur ce plateau et les rejeter hors de nos frontières.
Au dessus de nous se dressait, majestueux, le col de la Rosière comme un haut mur infranchissable. Et tout autour les Alpes, sans fin.
Nous restâmes à l'abri des bois. Le temps au général Bagdelane d'envoyer des éclaireurs pour qu'ils puissent lui décrire la situation.
Lorsqu'ils revinrent, leur rapport n'était pas encourageant. Les ennemis étaient installés sur l'immense pré qui faisait suite au village, mais ils avaient positionné leur artillerie, plusieurs canons, dans trois redoutes fortifiées au dessus du plateau, ce qui rendait son attaque délicate. Les canons étaient dirigés droit sur le village et sur la seule route d'accès. Nous risquions de perdre beaucoup d'hommes.Le général rassembla les troupes et dit que seule notre rapidité dans l'attaque nous donnerait la victoire. La Nation et la République comptaient sur nous pour libérer le territoire national des armées étrangères. Ainsi, ce fut aux cris de:" vive la Nation! Vive la République!" que l'armée se mit en marche.
Au passage dans le village, nous nous déployâmes, espérant surprendre les artilleurs par la largeur de notre attaque.
Au commandement du général, nous chargeâmes les fantassins ennemis en hurlant notre foi en la Nation. Les canons nous répondirent, dès que nous abordâmes le plateau, faisant d'énormes trous dans nos lignes. Nous étions encore assez loin des premiers rangs ennemis et nous laissions beaucoup trop de morts derrière nous. De ma position, je voyais les artilleurs qui nous dominaient. Je me rendis compte que le raidillon où était installée l'artillerie était peu défendu. Il y avait peut-être une chance de faire taire ces canons. Je m'approchai du capitaine Verdelin et lui criai au milieu du vacarme des explosions : " Capitaine, donnez - moi quatre compagnies, je vais tenter l'assaut de la colline." Il me regarda, incrédule. " Faites-moi confiance !"Il me les donna. Je fis signe aux hommes de me suivre et profitant de la fumée des explosions et du désordre qui agitait le champ de bataille, nous entamâmes la montée vers l'ennemi. Nous subîmes les tirs des fusils des soldats qui protégeaient leur artillerie. Mais rien ne pouvait plus nous retenir, pas plus nos camarades qui s'effondraient autour de nous que la folie de cette entreprise. Le vent, tout d'un coup tourna et renvoya la fumée des explosions vers les Piémontais. Les fantassins nous discernèrent plus difficilement et leurs tirs devinrent moins précis. Cela redoubla notre hargne et bientôt, nous fûmes sur eux. Le combat au corps à corps qui s'ensuivit me ramena au pont de Villaroger, mais là, je me sentais fort et sûr de vaincre. Je tuai le capitaine, commandant de l'artillerie. Le résultat ne se fit pas attendre, l'ennemi faiblit et lâcha prise, nous laissant la voie libre. Nous eûmes vite enjambé les rondins de bois qui protégeaient les canons et après un rapide combat, nous prîmes possession des trois redoutes et nous nous emparâmes des canons. Nous les retournâmes vers les lignes ennemies. À cet instant, la stupeur fut telle dans l'armée piémontaise que nos soldats partirent à la charge et mirent en fuite les soldats ennemis. Nous fîmes plus de 200 prisonniers et nous étions maîtres du plateau de Saint-Gervais.
Le général Bagdelane en personne nous félicita et signala notre action d'éclat aux représentants du peuple.
Plusieurs jours plus tard, alors que nous avions regagné notre campement de Grenoble, deux représentants du peuple, les citoyens Dumas et Albitte vinrent vers moi. Ils voulaient me nommer chef de bataillon, adjudant général. Mais, j'avais un autre désir et leur en fis part. Passé un moment de stupeur devant mon refus de promotion, ils acceptèrent ma requête. J'allais incorporer comme capitaine une compagnie de hussards. J'entrais dans la cavalerie sous les ordres des généraux Lassalle et Murat. Ainsi allait commencer la campagne d'Italie.

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