dimanche 14 septembre 2008

Mon père, ce sculpteur (7)

CELUI QUI MONTRE LA VOIE


- Une oeuvre monumentale s'il en est. La plus haute de toutes, une des plus anciennes et certainement ton symbole, ton oeuvre maîtresse. Tu ne voulus jamais t'en séparer.

- Saint Jean Baptiste le juste, celui que l'on va voir, mais surtout celui que l'on entend. La parole exacte, le verbe haut. Saint Jean Baptiste couvert d'une peau de bête était plus somptueux que l'être le plus riche, ruisselant de pierres précieuses sur des vêtements brodés d'or et d'argent qui cachent la faiblesse humaine.

- Tu ne pouvais pas ignorer ce personnage biblique tant il incarne tout ce que tu aimes chez l'homme.

- L'humilité, la sagesse, mais la colère aussi et la violence du verbe. Il n'était pas de ceux qui cherchent, par plaisir personnel, à assister les autres sans se demander si cela leur sera agréable ou ne les importunera pas. Jean Baptiste aimait chacun et allait à la rencontre de ceux qui s'approchaient de lui, il ne s'occupait pas de ceux qui lui tournaient le dos. Que celui qui a un trop-plein d'altruisme en fasse profiter ceux qui en ont besoin et qu'il laisse les autres en paix.

- Comment as-tu imaginé cette oeuvre?

- Un de ces dimanches endimanchés qui suintait d'ennui. La révélation. J'ai pensé à lui dans toute sa force. Il était le précurseur. " Je suis la voix qui crie dans le désert." Disait-il. Je l'ai voulu, le visage et la forme, à peine humain, comme des apparences choisies par Dieu pour se faire entendre. Et ce doigt pointé vers le bas qui ordonne.

- Le saint absolu!

- La sculpture du saint, quand elle est proposée, chacun la juge selon son aspect, sa forme et les opinions peuvent être partagées, car elles s'attachent à l'oeuvre. Avec le temps tous ceux qui prient le saint représenté vont à la sculpture sans la voir canalisant leur coeur vers ce qu'elle évoque. Ce n'est qu'un point de fixation, une sorte de marche qui permet à leur esprit de s'élever. A la limite, en cet état, un simple morceau de bois pourrait provoquer le même élan et cela éloigne de toute adoration idolâtrique d'un objet matériel.

- On doit se méfier de l'adoration des représentations matérielles?

- Quand l'esprit est fermé, impénétrable que le courant ne passe plus qu'il ne peut plus rien recevoir ni absorber ni emmagasiner, il devient un bloc inerte que rien ne marque qui ne laisse aucune empreinte sur lui sans que cela ne semble vouloir changer. Plus de finesse, ni légèreté, ni subtilité, mais de la matière brute inanimée. Il est pauvre et méprisable. Et pourtant, cet esprit trouve le moyen de proclamer sa vérité comme LA vérité. Foutaises!

- Puisque tu as l'air remonté, dis-moi qu'est-ce qui t'agace ou t'agaçait le plus?

- Une multitude. D'abord le besoin de posséder, d'avoir à soi ce qu'a le voisin au risque de mettre en péril son équilibre de vie. Être avide c'est désirer ce que l'on a pas, être près de ses intérêts c'est veiller à préserver ce que l'on a. ensuite le besoin de dominer, d'obtenir un pouvoir. Mais avant de commander, il faut savoir obéir, car comment apprendre aux autres ce que l'on n'est pas capable de faire soi-même. Quoi encore? Cette recherche frénétique de l'aïeul glorieux ou méritant. Il est possible de se poser une question: ces ancêtres dont tant de gens s'enorgueillissent auraient-ils lieu d'être fier de leurs descendants? Ceci est valable aussi pour les filiations revendiquées quelles soient artistiques, politiques ou autres.

- Je retrouve en ce que tu me dis ta quête de l'humilité, mais ton regard sur ta foi a-t-il évolué, changé?

- On m'a inculqué une croyance, j'en ai tiré des convictions et jamais rien ni personne ne m'en a éloignée. Nos premiers parents déchus du fait de leur faute ont transmis cette faute à leur descendance comme un malade peut transmettre une maladie. Mais de même que la maladie peut connaître des remèdes, cette faute peut-être effacée sous l'effet de la grâce et de la contrition.

- Tu ne vas pas me parler des écrits de la genèse comme des vérités historiques. Ne me dis pas que tu remets en cause la théorie de l'évolution des espèces, Darwin et ses successeurs en ont démontré son évidence.

- La symbolique. Que fais-tu de la symbolique ? Lis ces écrits pour ce qu'ils sont. Expliquer Dieu dans sa puissance et sa gloire. Du néant il a créé le tout. Dieu est esprit donc immatériel, hors de toute mesure comme le temps ou l'espace qui ne s'applique qu'à la matière.
Quand Dieu a-t-il crée le monde ? Il a suffi qu'il ait eu l'idée pour que le monde fût.
Quand a-t-il crée l'homme et comment ? Il l'a pensé et l'homme a été conçu. De la matière, le souffle divin "immatériel" a dégagé ce qui devait devenir l'homme par une transformation progressive qui va durer longtemps avant que les êtres ne fussent en possession de toutes leurs facultés. Il y avait dans la première forme de vie l'idée de l'homme. La genèse explique cela sous une forme condensée pour être comprise, mais il faut se dégager de cette forme pour essayer de comprendre ce qui s'est passé.
Alors, comment concilier cette création collective, son évolution avec le péché originel ? La faute d'un être seul ne peut pas être celle de tous les autres. Dieu met simplement l'homme à l'épreuve de son amour et le juge en conséquence.

- Je ne crois pas au jugement de Dieu, car cela implique une condamnation et je ne pense pas que Dieu condamne.

- Alors à quoi servent les bonnes actions si celui qui les fait ne reçoit rien d'autre que celui qui ne commet que des exactions?

- Il me semble que tu as dit qu'il y a du bon dans le mauvais et du mauvais dans le bon. Ainsi, est fait l'homme, à chacun de trouver le bon équilibre. Je défie quiconque de m'assurer qu'il est fier de tous ses actes dans une journée.

- Je comprends ce que tu veux dire. Comme le marteau forge le fer, le combat forge l'âme et ce combat nous oppose à nous-mêmes.

- Comme Jacob avec l'ange. Nos tourments intérieurs sont bien assez nombreux qu'il nous faut une vie pour les maîtriser.

- Ces tourments qui créent la comédie humaine. Les rôles sont distribués. Il y a les riches, les pauvres et tous ceux qui se situent entre eux. Ceux dont l'aspect attirera, ceux qui n'attireront pas, les doués et ceux qui ne le sont pas: apparemment dissemblables. Dieu commande à tous, d'autres commandent à certains et obéissent à leur tour et il y a ceux qui ne peuvent qu'obéir. Aussi, dès l'instant de la création où chaque être est projeté sur terre sous la forme visible, il vivra et éprouvera tous les sentiments, les passions, les joies, les souffrances que ce rôle comportera. Mais dès qu'ils sortent de scène, les masques tombent et chacun est semblable à tous jugé par le créateur suivant la façon dont il s'est acquitté de sa mission.

- Cà ressemble un peu à la cérémonie des Césars cette vision du jugement dernier. Alors, tout n'est que représentation jusque-là ?

- Qu'est donc l'amour humain? D'où provient-il? Que sont les liens noués sur terre entre les êtres sinon les éléments de leurs rôles. Ainsi, celui qui a créé ces rôles peut les modifier, déplacer des êtres ou les reprendre en les faisant sortir de la scène du monde ou en les rappelant à la vérité de l'éternité, eux qui étaient pris par la fiction de la vie. En sorte que les particularités évanouies restent l'identité d'origine.

- D'où vient notre salut? De notre talent d'interprétation?

- Peut-être, car ceux qui seront reconnus seront ceux qui ont cru en leur rôle et qui ont essayé de le jouer avec le coeur, de toute leur âme. S'ils ne sont pas le souffle, ils sont ceux par qui le souffle passe. Ceux qui portent l'inspiration la font vibrer, sentir. Recréateurs en qui renaît l'oeuvre qu'ils marquent de leur frappe sur laquelle joue leur sensibilité, leur force d'expression. Bénis soient ceux par qui la vérité et la beauté passent!

- Mais ceux dont le rôle est néfaste aux autres, qui ont agi dans le mal, une bonne interprétation du rôle leur ouvrirait les portes de l'éternité?

- Que sait-on de leur rôle véritable? N'étaient-ils pas là pour former le coeur des autres hommes à combattre le mal qu'ils incarnaient si bien.

- Nous étions partis de l'expression qui émanait d'une sculpture de saint.

- Et nous avons fait de la rhétorique.

- Que cela ne soit pas dit de façon péjorative.

- Donnons-nous plus d'importance.

- Après tes oeuvres représentant des personnages, tu as sculpté des oeuvres différentes; des mains, des groupes de mains, des totems surprenants où visages, mains et pieds se succèdent en une colonne sans fin.

- J'avais envie d'expérimenter des formes penchées, évidées, déchiquetées, exsangues. Des formes qui étonnent, inquiètent, troublent la tranquillité, ouvrent des horizons comme la pierre qui fait buter le promeneur sur la route qui le réveille, le redresse, l'ouvre sur les autres et le sauve.

- Était-ce une difficulté supplémentaire?

- Dans une sculpture de tout le corps, c'est l'ensemble qui importe sans que s'impose une partie plus qu'une autre. Par contre quand on ne montre que des mains ou des pieds, ils doivent par eux-mêmes s'exprimer et parler. Ce n'est pas plus simple. J'ajouterai pour tirait un trait sur mes oeuvres que la sculpture se perpétue dans un socle de même nature, aussi divers, au lieu d'aboutir à un socle aux formes parfaites, mais froid et sans vie. J'ai toujours sculpté le socle dans la même pièce de bois que la sculpture qu'il supporte.

- Cette approche de la représentation de l'homme par "élément séparé" a été un virage dans ton oeuvre.

- Il y a la représentation et la création. Celle-ci peut s'éloigner plus ou moins de la réalité ou s'en détacher. Ce qu'elle en prend n'est que pour lui permettre d'exprimer quelque chose du domaine de la pensée grâce à un élément réel en le faisant vivre juste ce qui est nécessaire. Une parcelle détachée de l'ensemble qu'elle presse jusqu'à la faire crier, jusqu'à la faire parler sous la torture. Qui voit une main décharnée aux doigts écartelés ressent une chose que ne produit pas la main normale. Alors, l'oeuvre, matérielle en soi, s'élève; elle gagne le domaine de l'esprit. Rien n'est rien. Tout est quelque chose. Il y a quelque chose en chaque chose.

- Finalement, t'es-tu senti artiste totalement?

- Il y a celui qui crée et celui qui sait. Le premier ne possédant rien est léger comme un souffle. L'autre sent sa charge. L'un ne calcule rien, l'autre prépare son avance. Les pas de l'un précèdent sa pensée, les pensées de l'autre conduisent ses pas. J'ai été parfois l'un parfois l'autre, mais la foi en l'un comme en l'autre m'a toujours guidé.

- L'artiste et l'érudit.

- On dirait le titre d'une fable. Tu sais avec le temps, les années s'amoncelant et la maladie me rongeant, ma mémoire devenait un tonneau sans fond, ce que j'y mettais s'y perdait. De tout ce que j'ai appris, amassé par couches successives, je te laisse à penser ce que l'éponge du temps a pu en laisser.

- Tu as vécu une vie longue et parfois ardue. Je me souviens que tu n'avais pas la sensation d'être vieux. Quand tu voyais de la fenêtre de ton salon les personnes du troisième âge se réunissant sur la place du village pour une excursion en bus et qu'on te faisait remarquer que tu pourrais y participer, tu répondais: " Moi, avec ces vieux!" Alors que la plupart étaient bien plus jeunes que toi.

- L'âge n'est pas la vieillesse. L'âge exprime le temps, la vieillesse est la constatation d'un état. On peut être vieux sans être âgé et être âgé sans être vieux. L'esprit peut garder toute sa vigueur dans un corps épuisé et être endormi dans un corps apparemment sain.

- Ton corps était-il épuisé finalement?

- Il vient l'heure où l'exercice ne fortifie plus le corps, mais l'épuise comme un citron trop pressé, desséché. Descente apparente, le corps se dégrade, l'esprit se voile, l'horizon se rapproche réduisant l'univers de plus en plus à ce qui l'entoure qui peut-être palpé par des mains hésitantes et livré à des pas incertains.

- Tu te sentais appelé?

- Ce n'est pas facile à expliquer ce que l'on ressent à ce moment-là. Si les forces décroissent, si le regard tombe, si l'esprit semble s'éteindre, il s'élève, s'épure inconsciemment. Ce qui paraît chute, délabrement est dégagement de l'apparence, de la fiction terrestre et montée vers l'infini.

- Ainsi, tout se clôt.

- La représentation se termine, le costume rangé, le masque tombé, il ne reste plus qu'à marcher vers l'éternité et ne rien en dévoiler.

1 commentaire:

  1. Pourquoi aujourd'hui ai-je pensé à Laurendeau ? Mon dessin terminé , j'allais attaquer un tronc de "Jamblon" , mais au lieu de ça , j'ai tapé Laurendeau de Juniac !

    Je ne l'ai pas connu , seulement des œuvres qui à mes yeux exprimaient une grande souffrance . Je me souviens avoir cuit un petit Christ modelé en terre dans le four du centre culturel de Cambo que Casama quittait et dont je prenais la suite .
    Voilà pour le peu que je connaisse , je n'oublie pas cette œuvre habitée .



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