samedi 2 août 2008

Mon père, ce sculpteur

Où est passé mon cher ami? Deux mois de silence et mon blog qui sent la naphtaline. Donc, je vais le réactiver. J'ai décidé, répondant à une demande pressante, de vous offrir chaque semaine un chapitre du livre que j'ai écrit sur l'artiste qui était mon père.Bonne lecture.


Il s'appelait Guy Laurendeau de Juniac et il était mon père. J'ai l'impression qu'il a vécu comme s'il n'allait jamais mourir. Il a pris son temps pour faire chaque chose.


Par exemple, il a fallu qu'il ait cinquante ans pour que je vienne au monde. Je ne dis pas que mon père ait attendu d'avoir cinquante ans pour devenir père, ma soeur et mon frère étaient déjà arrivés depuis plusieurs années. Je dis seulement qu'il s'était marié à quarante ans et que de ce fait, il a expérimenté les joies de la paternité bien tard. Ce sont ces mêmes années qu'il s'essaya à la création artistique. La céramique d'abord, la sculpture ensuite.

Et voilà un fils de bonne famille, docteur en droit, abandonner ses cravates et ses vestons, retrousser ses manches et s'asseoir face à un tas d'argile informe. Avec la candeur du débutant, il plongea ses mains dans la terre et essaya de lui donner une forme. Il ne fallut pas longtemps pour qu'apparaissent entre ses doigts des personnages émaciés, courbés, méditants, chauves ou chevelus ou encagoulés. Des moines, ses moines, son âme.

Que représentaient ces petits personnages, hauts comme deux pommes, ces santons sans crèche? Douleur ou sérénité?

La douleur, il connaissait. Adolescent, il perdait sa soeur aînée. Elle mourrait de leucémie le jour de ses vingt ans. Elle était, parait-il, gaie, spontanée et bousculait son frère, trop introverti à son goût, à s'exprimer, à exister. Brutale, inattendue, combattue, mais non vaincue, cette mort ferma les portes et les fenêtres, mit le noir sur les habits de sa mère pour toujours et interdit pour longtemps le droit à la bonne humeur.

Pourtant, mon père aimait sourire, rire, rire jusqu'aux larmes. Il aimait beaucoup le burlesque du temps du muet. Charlie Chaplin, Laurel et Hardy ou encore Buster Keaton l'amusaient énormément.

Alors "ses moines" souffraient-ils ou atteignaient-ils une forme de sagesse qui les rendait si impénétrables? Ses pensées qu'il griffonnait sur n'importe quel bout de papier jusqu'aux cartons qui entouraient les papiers hygiéniques, ses pensées, parlant de religieux, d'art, de vie, d'humains, pourraient-elles nous éclairer sur le mystère de ces visages anguleux et "hors expression"?

J'aimerais vous parler de lui en parlant de ses oeuvres comme un fils. Avec l'amour, l'irrévérence ou l'ironie filiaux. J'ai imaginé un "dialogue improbable". Une rencontre entre mon père et moi où les propos tenus trouveront leur source dans ses citations, dans l'expression de ses oeuvres et aussi dans ce que je sais de lui. Mes propres souvenirs de fils ayant vécu à ses côtés de nombreuses années. Pour le reste, l'inspiration, l'intuition me serviront d'interprètes. Dans certains passages, ce dialogue paraîtra totalement surnaturel, car parler de la mort de celui avec lequel on est en train de converser pourra sembler exagéré. Mais l'un des bienfaits de l'art et de la littérature en particulier, est de se nourrir d'irrationnel et d'abattre les barrières du raisonnable pour découvrir les terres vierges de l'imaginaire.

Ainsi, je l'imagine devant moi tel qu'il était. Le regard franc derrière ses lunettes, le sourire discret, voire crispé, les bras et jambes croisés, habillé d'une chemise blanche associée à l'inévitable cravate aux tons sombres et d'un pantalon noir. Et la veste grise qui n'en pouvait plus d'être portée, fatiguée, élimée, un mouchoir dépassant de sa pochette, elle lui ressemblait. Elle avait beaucoup vécu, mais elle restait élégante malgré les années. Pour être complet, j'ajouterai qu'il serait arrivé à notre rendez-vous portant son "vieux pardessus râpé" comme dans la chanson et son inséparable chapeau en feutre vert ou marron selon les époques.

1958, je naissais et mon père créait ses premières céramiques. Cendriers, porte-couteaux, ronds de serviette et les personnages. La découverte du figuratif. Mettre des visages sur son art naissant. C'est à partir de là que tout a commencé.

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